Jacques Darriulat

 

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Paris 4, troisième année de Licence, 2008
Mise en ligne : 19-8-09

 

DOSSIER HEGEL

L'ART CLASSIQUE (1)

 

Hegel
Leçons d’esthétique
« L’art classique »

            Edition de référence : Hegel, Esthétique, traduction de Charles Bénard, revue et complétée par Benoît Timmermans et Paolo Zaccaria, commentaires et notes par Benoit Timmermans et Paolo Zaccaria, Le Livre de Poche, « Classiques de la philosophie », Librairie Générale Française, Paris, 1997 (deux volumes). Le chapitre consacré à l’art classique, dont on lit ici le commentaire, occupe les pages 542 à 644 du premier volume. Il m'arrive, quand l'expression me paraît plus exacte, de préférer la traduction de l'Esthétique par Stanislas Jankélévitch, en quatre volumes, collection « Champs », Flammarion, Paris. Le texte correspondant au chapitre « L'Art classique » se lit dans le deuxième volume, de la page 149 à la page 256.

***

            Introduction : « Du classique en général » (Vom Klassischen überhaupt)

            L’art est le premier des trois moments du mouvement par lequel l’esprit accède à la connaissance de son essence. Pour s’élever jusqu’à cette révélation de lui-même, il doit se réaliser objectivement dans son Autre, pour en nier l’altérité, et se retrouver lui-même après d’être perdu en cela même qui le nie. Ce qui nie l’esprit, c’est en premier lieu le monde matériel, tel qu’il se donne à l’esprit dans sa forme immédiate, celle du monde sensible ou phénoménal. L’artiste cherche ainsi à objectiver la vérité subjective de l’esprit qu’il ressent en lui-même, sous la forme de l’œuvre d’art, qui dédouble l’esprit en lui renvoyant en quelque sorte un reflet de lui-même dans le monde matériel, qui est le non-esprit, mais une matière spiritualisée par le travail humain, une œuvre douée de forme et de signification. Tout le développement de l’Idée du beau est déterminé par la lutte de l’esprit subjectif et de la matière objective, de l’intérieur et de l’extérieur, au cours de laquelle l’esprit tend à s’assimiler son autre en le soumettant à la forme de son Idée. Dans cet affrontement, ou ce combat, un terme tend à dominer l’autre, au détriment de l’équilibre qui seul serait susceptible de redonner à l’esprit sa sérénité et sa béatitude. C’est ainsi que dans l’art symbolique, l’esprit est submergé par l’étrangeté pour lui du monde matériel, qui lui apparaît alors comme un labyrinthe infini et inextricable, à l’image de la jungle non encore défrichée par la civilisation, arborescence végétale chaotique et illimitée qui semble échapper à toute loi : tel est l’art indien, qui exprime le renoncement de l’esprit dépassé par l’inaliénable étrangeté du monde matériel dans lequel il se trouve plongé. Ou bien, à l’inverse,  l’esprit nie le monde en son altérité, et soumet la matière à des représentations symboliques qui ne peuvent être enfantées que par la pensée, et non rencontrées dans la nature : tel est l’art égyptien, créateur d’une architecture épurée, se limitant aux formes les plus simples de la géométrie, le cube du mastaba, le parallélépipède du temple ou la pyramide de la tombe pharaonique. Pourtant, en niant la nature en son immédiate naturalité, l’esprit s’interdit de se connaître lui-même, puisque c’est seulement par l’affrontement du spirituel et du non spirituel que l’esprit peut parvenir à la connaissance de lui-même, c'est-à-dire à sa réalisation effective dans le monde. Le sphinx égyptien est alors l’image de l’énigme que l’esprit encore abstrait est nécessairement pour lui-même, le mystère d’une infinité subjective qui fait éternellement face au mystère tout aussi impénétrable de l’existence objective du monde matériel.
            Dans cette relation d’aliénation conflictuelle qui est l’enjeu de la révélation de la vérité de l’esprit aux yeux de l’esprit lui-même, ce que Hegel nomme « l’art classique » marque un point d’équilibre rare et heureux, le moment exceptionnel où l’esprit, dans le destin qui l’achemine vers la conscience de lui-même, c'est-à-dire vers la reconnaissance de soi comme raison, se reconnaît et se retrouve comme en un miroir dans le monde sensible. L’absolu qu’il pressent en lui, et que le mouvement de sa propre phénoménologie lui révélera être la conscience de soi, c'est-à-dire la raison, lui apparaît alors hors de lui, dans une nature heureusement spiritualisée, ou idéalisée qui lui renvoie l’image de sa propre divinité. Ce moment heureux et harmonieux fut pour Hegel le monde grec, sorte de paradis terrestre dans lequel l’esprit était vraiment chez lui sur la terre, dans une nature tout entière habitée par les dieux, tandis que l’esprit lui-même s’éveillait à la conscience de son autonomie, à l’absolu contenu dans la connaissance de lui-même (Socrate), et dans un monde humain encore un et indivisé, ce que Hegel nomme « l’unité de la substance éthique », c'est-à-dire la totalité de la cité à laquelle le citoyen faisait indissociablement partie, ignorant encore les tourments de l’individualité solitaire comme l’angoisse de la mort qui ne vaut que pour l’individu, non pour la communauté. Cette idylle grecque est un lieu commun de la pensée allemande depuis Winckelmann (milieu du XVIIIe siècle), une sorte d’âge d’or de l’humanité non encore tourmentée par la culpabilité chrétienne du péché et de la responsabilité individuelle, un âge de grâce et d’innocence que les Allemands comparent souvent à l’âge de l’adolescence, l’humanité grecque vivant dans une insouciance heureuse que la croix du Christ, inaugurant l’âge de la conscience malheureuse, va déchirer à jamais, le citoyen vivant dans la cité comme l’enfant sous la protection de sa mère, et n’ayant pas encore à affronter le risque mortel de la responsabilité et de la solitude. Cette Grèce surtout imaginaire hante durablement la pensée allemande, et la nostalgie de cet âge heureux marque les penseurs jusqu’à Heidegger. Le néoclassicisme qui règne dans l’art allemand, sous l’influence de l’esthétique de Winckelmann, jusqu’au milieu du XIXe siècle (et peut-être au-delà) entretenait la nostalgie de ce moment de perfection où la beauté avait réellement établi sa résidence sur la terre. Hegel doit beaucoup, pour cette représentation idéalisée de la Grèce antique, plus qu’à Winckelmann, à un « poème philosophique » de Schiller qui a profondément marqué sa génération (Schiller et Hölderlin ont partagé avec Hegel ce rêve hellénique) : « Les dieux de la Grèce » (mars 1788). Hegel y fait longuement allusion dans la dernière partie qu’il consacre à « l’art classique », dans le dernier chapitre consacré à la « dissolution de l’art classique », p. 633 sq. Pourtant, Hegel se garde de toute nostalgie, et ne prêche pas, comme semble le faire Schiller, un retour au paganisme : le paradis grec doit être perdu pour que l’esprit accède à l’âge de l’indépendance et de la maturité, il doit souffrir le destin de la croix pour parvenir à la pleine conscience de sa liberté et s’élever à la connaissance de lui-même, non plus simplement esthétique, comme c’est le cas pour la Grèce, mais véritablement spéculative.
            Le chapitre que les leçons d’esthétique consacrent à l’art classique est relativement court. Il doit être complété par le chapitre sur la « religion esthétique » (die Kunstreligion) de La Phénoménologie de l’esprit, par la partie consacrée à la sculpture dans le même cours d’esthétique, enfin par le chapitre consacré à la Grèce dans les Leçons sur la philosophie de l’histoire.
            Le chapitre d’introduction définit donc l’équilibre parfait qui définit, selon Hegel, le moment classique. La signification de l’œuvre d’art – représenter l’esprit en tant que l’absolu se trouve en lui, du fait de l’autonomie qui l’élève à la conscience de lui-même – est pour la première fois adéquate à la forme de l’œuvre de l’art classique, qui idéalise spontanément la nature (l’art grec est un art idéaliste, le réalisme sera une invention de l’art romain) et se représente lui-même dans le corps immortel et parfaitement beau des dieux grecs, isolés dans l’absolu qui les ferme sur eux-mêmes par la totalité indifférente à tout ce qui n’est pas elle, telle qu’elle s’incarne dans la statuaire. La signification, écrit Hegel p. 42, est « devenue libre », en ce sens qu’elle n’est plus enchaînée à des légendes superstitieuses, mais qu’elle a trouvé son objet véritable : elle représente l’absolu de l’esprit lui-même (et non plus une nature ou des animaux déifiés), dans sa liberté et dans la perfection de sa propre totalité : « en un mot, c’est l’esprit qui se prend pour objet ». L’objet de l’art est désormais la seule représentation du divin, c'est-à-dire d’une individualité consciente d’elle-même, libre et jouissant de son autosuffisance. En ce sens, plus qu’à l’Inde, fascinée par le monde matériel, ou à l’Egypte, fascinée par le mystère que l’esprit est pour lui-même, Hegel compare le moment grec à la civilisation arabe, qui affirmerait pleinement la liberté et l’indépendance personnelle (545), ou au peuple hébreu (546), qui, en tant que peuple élu, s’accorde à lui-même la dignité de l’absolu. Mais cette affirmation de la liberté dans les civilisations proche-orientales passe par la négation du monde – ici réduit à la forme épurée du désert, comme si la liberté s’affirmait d’autant plus que le monde se niait lui-même – et conduit à la négation de toute forme matérielle, c'est-à-dire au refus de représenter sensiblement le divin : la religion juive, comme la religion musulmane sont strictement aniconiques. Au contraire, les Grecs donnent forme sensible à leurs dieux, et n’hésitent pas à les représenter, réalisant ainsi un équilibre parfait entre l’affirmation de la liberté subjective et la reconnaissance de la parfaite beauté du monde sensible, extérieur à l’esprit.
            En outre, la figure du divin, qui représente dans l’extériorité sensible la vérité intérieure de l’esprit pour lui-même, se réalise chez les Grecs en une forme individualisée (les diverses figures des dieux de l’Olympe) et non par une allégorie dépourvue de vie véritable, une figure abstraite réduite à l’épure d’un symbole. L’art grec réussit ainsi un extraordinaire équilibre entre l’idéalisation de la figure de l’absolu, et son individualité vivante, donnant aux dieux un corps à la fois prodigieusement vivant et magnifié par une beauté sensuelle, et pourtant idéal, pur songe de l’esprit s’efforçant de se représenter l’absolu qui est en lui. A l’inverse, les modernes, quand ils tenteront de recommencer cette grâce particulière qui fait la beauté classique, dans le mouvement dit « néoclassique », ne réussiront qu’à engendrer de pâles et froides allégories. C’est cette parfaite adéquation entre la forme sensible de l’œuvre d’art et la signification spirituelle qui est la sienne qui fait la grâce unique de l’art classique : « le contenu et la forme sont adéquats l’un à l’autre » (548). Quand la forme l’emporte sur le sens, on tombe en effet dans l’ornementation gratuite (l’Inde), quand le sens l’emporte sur la forme, dans l’obscurité symbolique et l’excès du mystère (Egypte). La Grèce s’élève à l’idée de la divinité de l’esprit, puisque ses dieux, pour la première fois, sont exclusivement humains, dépouillés de toutes les formes animales qui s’emparaient des figures anciennes du divin : l’homme est en effet le temple de l’esprit, et son corps est la manifestation phénoménale de l’âme réfléchissante. « Dans l’art classique, le corps n’est pas un simple objet vivant ; ce qui le caractérise, c’est d’être l’image de l’esprit, la parfaite identité de l’intérieur et de l’extérieur » (550). Aussi est-ce à tort qu’on a reproché aux Grecs leur anthropomorphisme : les dieux grecs ne sont nullement humains, ils ne retiennent de l’homme que ce qui l’élève à la dignité de l’absolu, la souveraineté de la pensée et la liberté de l’esprit qui seul peut se connaître lui-même, et est à lui-même sa propre fin. C’est plutôt le dieu incarné dans le Christ qui s’humanise, en vivant jusqu’à la mort la déréliction et l’humiliation de la condition humaine. Les dieux grecs inversement ne connaissent ni la souffrance ni la fatigue, ils ne rabaissent nullement le divin à la condition des mortels, ils élèvent inversement les hommes jusqu’à la beauté et la grâce des dieux immortels. Ils n’humanisent pas le divin, ils déifient l’humain. C’est à la fois la grandeur de cet art et sa limite : l’art classique ne connait de l’homme, qui est le temple de l’esprit, que la beauté inaltérable, l’harmonie et la béatitude. Ce qui manque encore aux dieux grecs, c’est précisément de descendre de l’Olympe qui préserve leur perfection et de souffrir la passion et l’agonie de la croix. En outre, la figure esthétique du divin qui naît en Grèce réussit un parfait compromis entre l’intériorisation qui est l’acte propre de l’esprit méditant – les figures sculptées des dieux se suffisent à elles-mêmes, hors de toute situation particulière, encloses sur leur parfaite beauté – et l’extériorité inhérente à l’expression esthétique – la méditation ne s’exprime jamais par des symboles spéculatifs, mais par la liberté et la grâce d’une figure sensible et merveilleusement vivante. Grâce à cette miraculeuse adéquation du sensible et du spirituel, et grâce aussi à l’habileté technique auquel cet art est parvenu (il fallait, pour que cette aisance soit atteinte, que soient accomplis les moments précédents), qui permet à l’artiste de donner à la matière la forme qui correspond à l’Idée, les Grecs réussissent à dépouiller l’art des formes superstitieuses et confuses, obscures et magiques, qui l’accaparaient jusque là, et l’élèvent à la perfection d’une œuvre simple, miraculeusement claire et conforme à sa fin : « Son œuvre est la création d’un homme qui se possède, qui non seulement sait ce qu’il veut, qui, par conséquent, sous le rapport de la signification et du contenu qu’il songe à représenter, n’a rien de vague ni d’obscur dans la pensée et, quant à l’exécution, ne se trouve arrêté par aucune difficulté technique » (554). D’où la pureté, l’unité et la merveilleuse simplicité des représentations de l’art grec, enfin débarrassées des monstruosités superstitieuses qui défiguraient les arts de l’Orient et de l’Egypte. On comprend en ce sens que cet art peut être dit « classique », puisqu’il réussit la  perfection de l’œuvre accomplie, c'est-à-dire la plus adéquate expression sensible de l’idéalité de l’esprit : « La perfection doit ici consister dans la complète pénétration de l’individualité libre et de la réalité extérieure qui la renferme et la manifeste » (559).
            Hegel annonce alors le plan qu’il entend suivre, et qui est d’une étonnante simplicité : dans un premier moment, il s’agira de l’art classique en tant qu’il se différencie des arts qui le précèdent, et ainsi affirme sa vérité propre (les dieux se dépouillent de leur forme animale et s’humanisent intégralement) ; dans un second moment, il sera question de la mythologie de la Grèce ancienne, qui forme le fonds légendaire dans lequel puisent les artistes, et dont il faudra montrer l’adéquation avec la signification hautement spirituelle des formes de l’art, religion que La Phénoménologie de l’esprit disait en effet « esthétique », unique religion dont l’essence est parfaitement réalisée dans la beauté des œuvres de l’art. Enfin, dans un dernier moment, il sera question de la mort des dieux de la Grèce, et de la dissolution de cette parfaite beauté qui, un court moment, a réussi à incarner totalement la perfection du divin dans le monde sensible habité par les mortels, ou plutôt à élever le monde des hommes à la beauté des dieux.

*

            Chapitre I : le développement de l’art classique (Der gestaltungprogress der klassichen Kunstform)

            Avant que l’esprit reconnaisse la représentation de sa vérité en une forme sensible qui soit adéquate à son essence, il doit se distinguer de tout ce qui n’est pas lui, qui demeure encore dans le sommeil de l’inconscience.
            L’esprit se connaît désormais comme vie, mais il ne sait pas encore que la vie est celle de l’esprit : aussi adore-t-il l’animalité, qui lui paraît une incarnation de la pure force vitale, par la force physique comme par l’énergie du désir sexuel. C’est un fait : les premiers dieux sont des bêtes, non des hommes, et les hommes adorent la bestialité comme l’expression la plus pure de la force vitale. Les premières œuvres d’art, les fresques pariétales du magdalénien, représentent exclusivement des animaux, à l’exception toutefois d’une scène fameuse dite « du puits » dans la grotte de Lascaux, qui représente un bonhomme schématique tombant à la renverse devant un énorme et énigmatique bison magnifiquement dessiné. Rares sont les figures humaines dans l’art préhistoriques, elles sont souvent ambiguës, hybrides, grotesques et maladroites, tandis que les animaux sont magnifiques et souverains (1). Etrangeté du culte de l’animal, qui est sans doute à l’origine de sa domestication (et non la simple utilité, comme un positivisme un peu court tend à le croire).
            Pour s’affirmer comme esprit, l’esprit doit donc nier son image dans la bestialité. Il le fait d’abord par le sacrifice, qui élève l’animal à la dignité de l’hostie, mais fait encore de lui la chair d’un festin qui suppose la cuisson de la viande, l’accommodement de l’animalité aux rites de la culture (563). Le mythe de Prométhée introduit une ambiguïté malicieuse dans l’échange sacrificiel : au dieu, la graisse et les os, aux hommes, la chair succulente (564). Première apparition du Titan, figure archaïque du divin. Pour Hegel, le sacrifice est sans doute un échange avec le dieu, mais un échange au cours duquel l’homme, par la ruse et la dissimulation, s’arrache à la pure sujétion : c’est en définitive pour l’homme, plus que pour le dieu, que l’animal est sacrifié. Par la cuisson et le festin, l’animal passe de la sphère de la nature à la sphère de la culture : l’esprit ainsi nie ce qui le nie, et le fait sien. Cependant le sacrifice n’est pas pure négation, il est aussi consécration. L’animal dont on fait l’offrande est digne du dieu : il demeure dans le rituel du sacrifice quelque chose de l’ancienne adoration de l’animalité.
            Cette vénération de l’animal sacrifié (qui marque l’ancienne fascination, non encore dépassée) laisse alors la place à la chasse (564), où l’homme affirme sa supériorité sur l’animal dans un pur rapport de forces, un combat dont la vie est l’enjeu, prouvant ainsi que la force n’appartient pas à la seule puissance physique, mais plus encore à l’esprit, qui est le propre de l’homme : ce n’est pas par la force que l’homme s’est révélé le meilleur chasseur, mais par la ruse et l’intelligence. Il ne s’agit plus ici de sacrifier, c'est-à-dire de rendre sacré, mais de dominer et de détruire. La chasse est la première lutte à mort par laquelle l’homme affirme son humanité, surmontant la peur de la mort – l’animal étant ici le maître de la mort possible, ce « maître absolu » – et s’affirmant ainsi contre ce qui le nie. La représentation de l’animal est sans doute liée à la pensée de la mort : l’homme serait moins bon chasseur s’il ne se savait lui-même chassé. Et ce n’est sans doute pas un hasard si les fresques préhistoriques sont contemporaines des premières inhumations
            Cependant, dans la lutte à mort de la chasse, l’homme vainc pour ainsi dire l’animal sur le terrain même de l’animalité – la bête aussi est bon chasseur, et l’homme, en se révélant le meilleur chasseur, ne fait de lui-même que le meilleur des animaux, et non encore un homme. C’est pourquoi ce moment doit à son tour être dépassé par la métamorphose (565), qui fait de l’animal une puissance morale, ou mieux encore un simple motif de légende ou de poésie, le personnage de la fable, un jeu littéraire, et qui assimile ainsi l’image de l’animalité à une culture, c'est-à-dire à des figures de l’esprit qui métamorphosent l’animalité en signes, en significations poétiques et allégoriques. C’est ainsi que Hegel fait ici allusion à la fable de l’ « escarbot », autrement dit du scarabée, animal sacré personnifiant le soleil levant selon les Egyptiens, personnage d’une fable morale chez Esope, enfin monture grotesque et fabuleuse chez Aristophane dans La Paix : dieu d’abord, puis dépourvu de son aura dans la morale laïque de la fable, enfin figure extravagante de la parodie dans la comédie (565) (2). La désacralisation de l’animal accompagne le progrès de la raison. La bête, qui fut d’abord plus que l’homme, finit par incarner une vie inférieure et déchue. C’est ainsi que la métamorphose de l’homme en animal prend le sens, dans toutes les légendes, d’une chute ou d’un châtiment (Lycaon, Procné et les Piérides : 566-570). En faisant de l’animalité un motif littéraire, l’homme la surmonte définitivement, et marque clairement à ses propres yeux la supériorité de l’esprit. Quand les dieux prennent forme animale, tel Zeus qui se fait cygne pour séduire Léda, c’est qu’ils déchoient eux-mêmes de leur propre divinité (570), et les dieux hybrides, mi-humains mi-animaux, tels les Faunes, s’humanisent de plus en plus tandis que l’esprit prend davantage conscience de lui-même comme raison.
            Deux des trois mythes cités par Hegel font allusion à l’anthropophagie : les fils de Lycaon tuent un enfant et se font un festin de sa chair, et Lycaon lui-même sert à Zeus, venu le voir sous la forme d’un mendiant, la chair d’un enfant ; son culte, en Arcadie, est lié aux sacrifices humains suivis d’anthropophagie, qui transforment les participants en loups pour une durée de huit ans (3). Quant à Procné, elle tue son propre fils Itys, et le donne à manger à son époux Térée, qui est aussi le père d’Itys. Procné est transformée en rossignol, sa sœur Philomèle en hirondelle. Les Piérides sont transformées en pies, selon Ovide, pour avoir voulu rivaliser en un concours de chant avec les Muses ; rien dans leur légende ne fait allusion à l’anthropophagie. Ainsi Hegel semble lier la fascination pour l’animalité avec l’anthropophagie, c'est-à-dire la régression à la barbarie : en vénérant l’animal, l’homme s’animalise lui-même. Allusion également à la zoophilie des adoratrices du bouc Mendès dans l’Egypte ancienne (571).
            Il y a pourtant progrès dans ces mythes successifs : Lycaon est criminel par pur défi contre les dieux ; Procné venge le viol de sa sœur par son époux Térée, qui a arraché la langue de sa victime pour qu’elle ne puisse parler ; les Piérides défient les Muses en un concours de chant, elles ne commettent aucun crime de sang, et leur métamorphose en pies bavardes est plutôt ironique, et s’éloigne de l’horreur sacrée qui inspire les précédents récits. La lente conscience de la rationalité est toujours parallèle à la dissipation de la terreur.

            Mais, dans un second moment, de même que l’esprit a dû s’arracher aux divinités animales avec lesquelles il s’est d’abord confondu, de même les dieux eux-mêmes doivent s’arracher aux formes archaïques de la divinité, encore prisonnières de la matière et des forces de la nature. L’esprit se dédouble dans la figure du divin, et se réfléchit ainsi en son image (4). Le progrès de la conscience qui s’opère donc dans l’homme – du sacrifice, par la chasse, jusqu’à la métamorphose – doit donc se refléter dans les images des dieux, et dans leurs successives transformations. Il est remarquable qu’en ce chapitre, Hegel commence par l’homme, pour s’élever ensuite au divin : ce sont en effet les dieux qui sont pour le philosophe à l’image de l’homme, et non les hommes à l’image de dieu. Pour que le dieu classique fasse son apparition, il faut alors qu’il se dégage de la gangue des anciens dieux, encore indignes de représenter l’esprit en sa vérité (comme il faut à l’homme se dégager de l’animalité dont il se fait d’abord lui-même prisonnier, par l’adoration). Le divin se manifeste d’abord comme nature, il faut qu’il se manifeste maintenant comme esprit. Telle est la signification du combat des anciens dieux avec les nouveaux dieux, des Titans avec les Olympiens.
            Dans le premier moment, celui de l’homme, l’animalité marque la déchéance morale de l’humanité de la culture à la barbarie, une chute dans l’infrahumain. Mais nous avons vu comment l’humanité triomphe de l’animalité par la chasse, le sacrifice et la métamorphose. Désormais, le rapport au divin n’est plus seulement celui de la dignité ou de la noblesse morale, du degré de la civilisation, mais plutôt de l’ordre du savoir, de la connaissance. Ainsi la figure du dieu s’approche-t-elle davantage de son essence, qui est l’activité de l’esprit, elle s’affirme « comme puissance spirituelle », et l’esprit se représente maintenant comme connaissance, et non sous la forme naturelle de l’animalité. Le divin tend ainsi à se distinguer de la nature. C’est pourquoi ce moment second donne naissance à la statuaire, cet art étant exclusivement consacré à la représentation du corps humain, marquant ainsi l’abandon de l’animalité comme figure possible du divin : « La route que nous allons parcourir est celle que nous offre l’histoire de la sculpture ; car la sculpture qui représente les dieux sous leur forme naturelle et vraie et en même temps visible, constitue le centre proprement dit de l’art classique » (575). C’est ainsi que l’art de la sculpture naît de l’esprit, et que la statue peut-être dite par le mythe « tombée du ciel », ou « diopéthês » (575 ; de dios, Zeus, ou le divin en général, et de piptein, tomber), adjectif que les Grecs réservaient au Palladion, statue divine censée représenter la déesse Pallas et liée à l’histoire de Troie, mais que certaines légendes disent transportée à Athènes ou à Rome. Diopéthês se dit aussi d’une statue de Cybèle, « la pierre noire » de Pessinonte, qu’on dit tombée du ciel, à laquelle Hegel fait ici expressément allusion (5). Avant d’être taillée selon la forme de l’Idéal, la statue n’est qu’un bloc informe, l’inconnu que l’esprit est pour lui-même représenté à l’extérieur de lui-même. La pierre noire représente aux yeux de l’esprit l’énigme qu’il est encore pour lui-même, elle est l’incarnation de son propre inconscient.
            Cette première réalisation du concept de la divinité passe en premier lieu par la révélation de l’oracle (576), par laquelle le divin s’affirme comme savoir, mais un savoir ambigu, que l’homme ne parvient jamais à comprendre clairement. Ainsi l’idée de la science, qui est du côté du sujet, s’achemine-t-elle vers la conscience d’elle-même. Pourtant le savoir est ici non celui de l’esprit lui-même, mais au contraire celui qui lui est révélé par la nature : frémissement des hêtres à Dodone, murmure d’une fontaine, son produit par un vase d’airain que le vent fait vibrer (576) : « C’est la voix de la nature, ce sont des mots sans ordre ni liaison » (577). Et quand l’homme s’efforce de traduire cette « révélation », de lui donner un contenu spirituel, il fait aussitôt l’expérience de la contradiction vivante qui anime toute vérité : l’oracle est ambivalent, et le sens manifeste dissimule le sens latent, qui lui est exactement contraire, comme la bonne fortune l’est à la mauvaise fortune (Œdipe). Cette contradiction est alors vécue comme un leurre qui égare les hommes, et les entraîne sur la pente du malheur, elle devient le moteur de la tragédie, ce que Hegel nomme la « collision » : « à peine a-t-il alors accompli l’action qui est devenue sienne qu’il tombe dans une collision » (577). C’est ainsi que la contradiction, avant d’être reconnue comme le moteur du développement du concept, est celui du conflit tragique, qui est l’épreuve des inconciliables, comme s’il fallait que l’esprit fasse l’expérience pratique de la vérité, expérience douloureuse et déchirante, puisqu’elle passe par le travail du négatif,  avant de s’élever à son intelligence théorique.
            Ainsi dans le savoir encore inconscient de l’oracle, l’esprit ne s’est pas encore distingué de la nature (578). La conscience de soi de l’esprit doit donc s’arracher aux représentations confuses de la nature auxquelles elle s’identifie en premier lieu : c’est ainsi que les figures du divin sont d’abord naturelles et matérielles, « telluriques et sidérales » (579), « race grossière, sauvage, monstrueuse, analogue à celle qui est sortie de l’imagination indienne ou égyptienne » (579). Telle est la race des Titans, sous le règne d’Ouranos, puis de Cronos (que Hegel, il est vrai, assimile un peu rapidement à « chronos »), le Temps auquel rien n’échappe. Le Temps règne en effet en maître sur la nature, et l’esprit enchaîné à cette représentation ne peut s’élever à une forme durable, tel l’Etat, ou les lois (celles de la cité, et plus encore celles de la science, encore bien lointaines) : 579. Le divin apparaît comme pure force naturelle, donc soumis à la mort, comme tout ce qui est de la nature.
            Hegel évoque alors (580-582) la figure du Titan qui s’élève, par sa ruse et sa « prévoyance » (telle est en effet la signification de son nom), au-dessus de cette forme simplement naturelle des divinités Titanesques : Prométhée, une des grandes figures imaginaires qui domine le XIXe siècle (Goethe, Prométhée, 1773 ; Shelley, Prométhée délivré, 1820). Prométhée est au début du XIXe siècle la figure tutélaire d’un athéisme romantique, qui prend le parti de l’homme contre celui de Dieu, un athéisme de la révolte et de l’épopée, tandis que l’athéisme des Lumières n’était que critique, et dénonçait la superstition : il ne s’agit plus de constater l’inexistence de Dieu, mais de proclamer l’homme plus grand que Dieu lui-même. Au XXe siècle, qui n’a plus dans le progrès technique (le vol du feu) la même foi que le XIXe siècle, l’épopée du rebelle Prométhée se transforme en une autre figure, la révolte de Sisyphe contre l’absurde de la répétition. Curieusement, Hegel n’évoque Prométhée ni par Hésiode, ni par Eschyle, ni par Lucien (Prométhée ou le Caucase, pamphlet contre Zeus), mais par le Platon du Protagoras (6) (avec lequel vient interférer le mythe inaugural du Politique : la fin de l’âge de Cronos, qui maintient les hommes en enfance, et la naissance de l’ère de la responsabilité politique. Il s’agit ici de lier le déclin de Cronos avec la gloire de Prométhée, qui annonce, tout en s’y opposant, le règne des Olympiens) : 580. Depuis que les hommes sont livrés à eux-mêmes, et qu’a pris fin l’âge de Cronos, ils sont dans une misère qui fait pitié à Prométhée, qui leur donne le feu, et supplée ainsi à l’absence de qualité propre, l’homme ayant été dépourvu de tout don par l’étourderie d’Epiméthée, frère de Prométhée. Pourtant, continue Hegel, toujours lisant Platon, le feu de Prométhée n’est que technique, manque encore l’art politique, Pudeur et Justice que Hermès donnera aux mortels, sans lesquelles les hommes ne peuvent survivre. C’est pourquoi Prométhée n’est qu’un Titan, non encore un dieu : son don est simplement matériel, non encore spirituel : « parce que Prométhée n’était pas en état de procurer à l’homme rien de spirituel et de moral, il n’appartient pas encore à la race des nouveaux dieux, mais à celle des Titans » (582). Hegel se dissocie ainsi du romantisme rebelle inspiré par le mythe de Prométhée, depuis le drame de jeunesse de Goethe : Prométhée n’est selon lui qu’une figure inférieure. Il est une figure intermédiaire, entre les figures spiritualisées des Olympiens et les figures strictement naturelles et matérielles des premiers Titans. Il marque néanmoins un progrès de l’esprit, qui refuse de se reconnaître dans les Titans monstrueux et inhumains de la première génération.
            Enfin les dieux primitifs représentent aussi l’Idée, mais sous la forme de l’universalité abstraite de l’allégorie sans vie (Némésis, Dikê, les Erinyes : 582). Hegel pense ici à la Théogonie d’Hésiode : les Erinyes naissent du sang tombé en terre d’Ouranos émasculé (v. 185), Némésis (v. 223) et les « Mores » (Moirai, v. 217) sont des enfants de la Nuit ; quant à Dikê, la Justice, elle appartient à la génération bien plus tardive des Olympiens, puisqu’elle est fille de Zeus et de Thémis, l’Equité (v. 902). Hegel pense ici à une Justice plus ancienne, et proche encore de la vengeance et du prix du sang. L’étrange est ici que les dieux les plus archaïques, par exemple les enfants de la Nuit (v. 211 et sq), soient nommés par Hésiode comme de pures allégories (« la Mort », « le Sommeil », « le Sarcasme », « la Détresse », etc.), alors qu’on s’attendrait à des figures moins intellectualisées pour des temps si primitifs. Pourtant ces allégories sont précisément primitives en ce sens qu’elles sont précisément des allégories, c'est-à-dire non des Idées figurées, mais des Absolus encore anonymes, des symboles encore inconscients d’eux-mêmes, qui n’existent pas dans la pensée mais seulement dans le sentiment, et toutes semblent tourner autour du prix du sang, et de la loi du talion qui paie la mort par la mort. La figure divine n’exprime ici qu’une exigence brutale, barbare, hostile à toute réflexion, et qui réclame aveuglément son tribut : force anonyme et sans histoire, que baptise un nom abstrait. Pour que les Erinyes perdent leur nom, il faut qu’elles entrent dans l’histoire, il faut que le besoin de Justice devienne l’objet d’une réflexion, et s’arrache à la passion aveugle et sanguinaire de la vengeance. Très sûrement, Hegel le montre alors en lisant les Euménides d’Eschyle (583-584) : aux Erinyes qui défendent le droit de la famille et du clan, animé par la vendetta, uni par un même sang, issu d’une même mère, et pour lequel le meurtre de la mère est la faute absolue, s’opposent Apollon le purificateur et Athéna, au nom de la cité, qui défendent le droit du citoyen contre le droit familial, et pour lesquels le meurtre du père, de l’époux et du prince, est la faute absolue. Or c’est pour venger le meurtre de son père Agamemnon qu’Oreste s’est fait le meurtrier de sa mère. Il sera donc innocenté par le tribunal de la cité, et les déesses de la vengeance, les Erinyes, se feront Euménides, protectrices de la paix et de la prospérité de la cité. L’esprit affirme ainsi sa liberté, en s’arrachant à la sphère privée de la famille, qui le maintient sous sa protection, comme un éternel enfant, et naît à l’autonomie en s’élevant à la citoyenneté. A l’inverse d’Aristote, Hegel affirme que la société civile ne se forme pas à partir de la famille, mais contre elle (Principes de la philosophie du droit, § 173-180). Dans l’Antigone de Sophocle, Hegel croit pouvoir apercevoir (584-585) le même conflit entre le droit familial (donner une sépulture au cadavre de Polynice) et le droit civil (châtier publiquement celui qui s’est fait traître à sa patrie). Pourtant Hegel semble cette fois davantage sensible à la grandeur d’Antigone plutôt que de  Créon, donc de la famille plutôt que de l’Etat ; mais il est vrai qu’Antigone sert le dieu des morts, figure primitive et très ancienne de l’Hadès, qui appartient aux âges sombres de l’esprit : « Elle accomplit comme sœur le saint devoir de la sépulture, ne consultant que sa piété et son amour pour son frère. Aussi, elle en appelle à la loi des dieux ; mais les divinités qu’elle invoque sont celles du monde souterrain et invisible, de l’Hadès » (585). Le personnage d’Antigone, selon Hegel la plus haute figure de la féminité, se retrouve dans tout l’œuvre du philosophe, dès les écrits de jeunesse : elle est présente dans l’article sur le droit naturel (1802-03, chap. III : « Tragédie et comédie comme représentation du monde éthique ») ; dans la Phénoménologie de l’esprit, « L’esprit vrai, l’ordre éthique » (Hyppolite, II, 14-49), et « la tragédie » (II, 246-257) ; dans les Principes de la philosophie du droit, § 166, Derathé,  p. 204-205 ; dans les  Leçons sur la philosophie de la religion, IIème partie. La Religion indéterminée, trad. Gibelin, Vrin, 1972, p. 126-127 ; enfin dans l’Esthétique, trad. Jankélévitch, IV, p. 224 à la fin : « La poésie dramatique » (surtout III : la tragédie, p. 261 à la fin). Sur l’importance de la figure d’Antigone sur la génération de l’Allemagne romantique : George Steiner, Les Antigones, Gallimard, 1986.
C’est ainsi que les idoles figées dans l’anonymat de l’abstraction – Dikê, Moira ou les Kères – toutes en rapport avec la mort qui pétrifie toute vie, s’individualisent et s’enrichissent en se faisant sujettes d’une histoire, celle-là même qui conduit les impersonnelles et terribles Erinyes à se métamorphoser dans les Euménides généreuses et tutélaires. Les dieux, comme les hommes, se réalisent et deviennent concrets en assumant leur histoire. L’histoire des dieux, Hegel l’évoque ici rapidement, suit en effet le fil d’une progressive spiritualisation et individualisation. Trois générations se succèdent : les premiers Titans, enfants d’Ouranos et de Gaia, du Ciel et de la Terre, eux-mêmes enfants du Chaos, sont opprimés et enfermés par leur père. Mais Cronos, le dernier-né, émascule Ouranos, mettant ainsi fin au règne du premier Père, et règne à son tour en opprimant les Titans de la seconde génération, ses enfants et les enfants de ses frères. Mais Zeus, le dernier-né, émascule à son tour son père Cronos, et ouvre l’ère des Olympiens, qui emportent la victoire contre les Titans révoltés, et les condamnent à des supplices sans fin (Ixion, Tantale, Sisyphe et enfin Prométhée, figure charnière entre les Titans et les Olympiens, qui seul sera délivré). « Cette généalogie apparaît comme un progrès », écrit Hegel (585) : ce progrès consiste en ce que les premiers dieux sont encore des entités indifférenciées, et que peu à peu « les dieux apparaissent sous la forme de personnes morales qui se rapprochent de plus en plus de l’individualité humaine » (586), Zeus personnifiant la majesté, Apollon la beauté lumineuse, Athéna la sagesse, etc. C’est ainsi que les enfants du Chaos – Ouranos et Gaïa – sont des divinités encore intemporelles et abstraites ; la seconde génération, celle de Cronos, incarne ce moment où les dieux n’ont pas encore d’histoire, mais sont néanmoins dans le Temps ; avec le fils de Cronos, Zeus, et la race des Olympiens, les dieux doivent désormais leur puissance à leur victoire sur les Titans : ils ne sont plus seulement dans un temps abstrait, ils sont ce que leur histoire les fait. Hegel se contente de cette remarqua plutôt allusive, tandis que Schelling, dans sa Philosophie de la mythologie, lui consacre de très approfondis développements. La raison en est sans doute qu’à l’inverse de Schelling, qui pose toujours dans l’origine l’intuition la plus profonde, et considère le développement historique comme une rationalisation superficielle, Hegel pose la pauvreté et l’abstraction des origines, et l’enrichissement progressif du concept s’affirmant contre ce qui le nie au cours de son histoire.  Pour Hegel, le présent est toujours plus riche que le passé, et nul n’est plus étranger que lui à la nostalgie des origines. Aussi ne tient-il pas à s’attarder trop longtemps sur les premiers Titans, qui fascinent au contraire Schelling, ni sur les formes les plus mystérieuses du divin, qui sont surtout mystérieuses en raison de l’obscurité de l’esprit en ces âges reculés, et nullement de sa profondeur originaire : « Car on a beau décorer de titres pompeux les grands Cabires, les Corybantes et les représentations du principe de la génération (pour ne pas parler de l’ancienne Baubo que Goethe fait chevaucher sur le Blockberg, montée sur une laie), tous ces personnages appartiennent à une époque que l’on peut, tout au plus, regarder comme le crépuscule de la conscience » (588). Les Cabires sont des divinités mystérieuses dont nous ne savons rien, sinon qu’elles étaient invoquées dans les Mystères, que leur principal sanctuaire était à Samothrace, mais que leur culte était répandu partout, même en Egypte, ces mêmes Cabires qui incarnent au contraire aux yeux de Schelling la forme la plus pure et la plus originaire de l’idée du divin. Il est question de Baubo, vieille sorcière chevauchant une truie, dans le Premier Faust, dans la scène de la nuit de la Walpurgis. On dit de Baubo que, par ses plaisanteries obscènes, elle sut faire rire Déméter affligée par le deuil de sa fille Perséphone. La scène se passe  Eleusis, et c’est elle que commémorent les fameux Mystères. Nietzsche y fait allusion dans la célèbre préface du Gai Savoir. En ce début du XIXe siècle, qui voit la naissance du folklore, l’intérêt pour la mythologie, pour les contes et légendes, est grand. Hegel se défie de cet engouement pour toutes les formes de l’irrationalité, qui ne sont selon lui que les figures d’une « conscience crépusculaire », der Dämmerung des Bewussteins.

            La dernière partie, qui constitue le troisième et dernier moment de ce chapitre, montre comment les plus anciennes figurent de dieux, bien qu’encore négatives, peuvent se maintenir, et à quelle condition. Le premier moment pensait l’affirmation de l’humanité depuis l’animalité où elle était d’abord engagée ; le second moment pense l’arrachement de l’idée du divin à la nature simplement matérielle dont elle est d’abord prisonnière ; ce troisième et dernier moment réfléchit la persistance des figures primitives, pourtant niées et dépassées, dans les formes plus spiritualisées, plus accomplies de la conscience de soi. Les symboles en effet migrent au cours des millénaires, se transforment mais ne disparaissent que fort rarement. Hegel tente donc d’expliquer cette étrange continuité, qui semble donner raison à ceux qui, contre Hegel lui-même, se font les défenseurs de la vie propre des symboles, représentant d’un savoir intuitif qui serait supérieur au savoir rationnel.
            Il s’agit donc de s’interroger sur les raisons de la survivance (Nachleben), qui n’obéit nullement, comme le croyait par exemple un Warburg dans la première moitié du XXe siècle, à quelque fascination imaginaire et irrationnelle, mais au contraire à la faculté qu’ont certains anciens dieux de revêtir une signification plus rationnelle. La survivance des figures archaïques est possible, tant les dieux du paganisme sont nombreux et polymorphes, à l’inverse du dieu jaloux des Juifs, qui prétend être l’unique : « Il n’y a que le dieu national des Juifs qui ne puisse souffrir auprès de lui d’autres dieux, parce qu’il doit être le dieu unique, le dieu universel » (589). Dans cette mêlée de dieux divers, et de plus en plus diversifiés, il s’en trouvera nécessairement qui seront susceptibles de se conserver dans les stades supérieurs de la phénoménologie de l’esprit. Le texte de Hegel ne parle certes pas de « survivance », mais de « maintien » (Erhaltung), c'est-à-dire de la conservation des anciens dieux, qui revêtent alors une nouvelle signification. Le « dépassement » ne dépasse en effet qu’en conservant ce qu’il nie, et non en le rejetant purement et simplement : dépasser n’est pas passer à côté. Cette conservation des traditions se fait d’abord par le culte des Mystères, dont les plus fameux sont ceux d’Eleusis, et qui fascinaient les romantiques. Hegel s’emploie ici encore à démythifier le mythe,  à l’inverse de ses contemporains, qui s’évertuaient de le poétiser : les Mystères ne sont pas bien mystérieux, ils conservent la tradition non en raison de sa profondeur (le nouveau est toujours, selon Hegel, plus profond que l’ancien), mais par une routine d’esprit encore crépusculaire : « Il ne paraît pas en général qu’une bien haute sagesse et des connaissances profondes aient été cachées dans les Mystères. Ils conservaient seulement les anciennes traditions » (590). Cette démythification des Mystères est surtout dirigée contre Georg Friedrich Creuzer (1771-1858), qui fut collègue de Hegel à l’université de Heidelberg (Hegel y enseigne de 1816 à 1818), auteur d’un ouvrage qui a beaucoup marqué la génération romantique : Symbolique et mythologie des peuples anciens, en particulier des Grecs (1810-1812). Selon Creuzer, la religion grecque dérive d’un monothéisme d’une haute spiritualité venu de l’Inde, patrie et source, selon les romantiques allemands, de la vraie religion et de la vraie sagesse. Cette « indomanie » provenait d’un livre curieux de Friedrich Schlegel, Sur la langue et la philosophie des Indiens, publié en 1808. Schlegel y enseignait que le sanskrit était non seulement la plus ancienne de toutes les langues – détrônant donc l’hébreu qui jouait ce rôle depuis le moyen âge et l’âge classique – mais encore la plus spéculative, et que la philosophie indienne, selon lui d’une profondeur insoupçonnée, se trouvait à l’origine de la philosophie grecque, et par conséquent de toute la pensée européenne ; il affirmait en outre que la spiritualité hindoue trouvait sa forme la plus achevée dans le catholicisme et l’ascétisme chrétien, auquel l’auteur décidait de se convertir. L’Inde de Schlegel est le pays de la révélation primitive, et la source de toute poésie : « C’est en Orient qu’il nous faut rechercher le romantisme suprême », écrit Schlegel dans le Discours sur la mythologie (dans le Dialogue sur la poésie, 1800) (7). L’ouvrage de Schlegel sur la sagesse indienne est à l’origine de la fascination exercée sur les esprits européens par la mystique de l’Orient, qui est déjà bien sensible chez Schelling, et qui devient explicite et envahissante chez Schopenhauer. C’est précisément contre cette fascination exercée par la pensée indienne que Hegel rédige son chapitre sur l’art symbolique. Contre le retour d’une spiritualité qui prétend s’affranchir du monde matériel, contre le mythe de la haute mystique hindoue, Hegel fait le portrait contraire d’une Inde qui ne pense pas, qui est incapable de penser tant elle succombe à l’hypnose de ses propres fantasmes. Selon Hegel, l’Inde ne pense pas, elle ne fait que rêver. L’Inde est la passion de l’esprit supplicié par la multiplicité illimitée du sensible. Aux intuitions de la mystique indienne, Hegel oppose le savoir effectif de la rationalité grecque.
            Aux yeux de Creuzer, ce monothéisme d’origine indienne, en raison de ses exigences spirituelles, serait demeuré ésotérique, transmis secrètement dans les Mystères d’Eleusis et de Samothrace, ou dans les enseignements orphiques ou pythagoriciens ; la religion grecque elle-même en serait une forme exotérique, populaire et imagée, et qui pour cette raison s’exprime en un polythéisme qui parle davantage à l’imagination. Creuzer apportait à sa thèse le soutien d’une érudition historique, qui enthousiasma d’abord les contemporains, mais inspira des critiques de plus en plus nombreuses de la part des spécialistes, alimentant une longue querelle des « rationalistes » contre les « romantiques ». Johann Heinrich Voss (1751-1826), auteur d’une Antisymbolik (1824),  prit une part importante à la critique rationaliste des thèses de Creuzer (Hegel rapproche ces deux noms, un peu plus loin, p. 594, à propos du prétendu symbolisme naturel des dieux grecs). Hegel se situe ici sans ambiguïté du côté des rationalistes : les Mystères, pas plus que l’Inde, ne pensent pas, le travail du concept est du côté de l’esprit s’éveillant à la rationalité, c'est-à-dire à la conscience de son autonomie, ou de lui-même comme absolu : « On raconte, par exemple, d’Eschyle, qu’il avait révélé, à dessein, le sens caché des mystères de Cérès. L’impiété se bornait à avoir dit qu’Artémis était la fille de Cérès, ce qui ne paraît pas une idée bien profonde » (591). Il appartient à l’essence du concept de se manifester en toute clarté ; ce qui demeure caché marque simplement son impuissance à s’exprimer objectivement : « L’ésotérique, l’occulte, l’inexprimé font en effet partie du tellurique, du sidéral, du Titanique, tandis que l’esprit est la claire évidence, l’évidence révélée, une révélation incessante » (trad. Jankélévitch, II, 200). Pour Hegel, on ne cache jamais les trésors qu’on possède, on cache toujours ceux qu’on n’a pas, pour faire croire à une richesse imaginaire.
            C’est pourquoi l’élément négatif – en tant qu’il appartient à un moment dépassé par la progression de l’esprit – ne peut se conserver qu’à la condition de se métamorphoser, à l’image des Erinyes qui deviennent Euménides (Hegel y fait à nouveau allusion p. 592). L’ancien ne survit dans le moderne qu’à la condition de se convertir à la rationalité, c'est-à-dire à la culture et à l’humanité, qui est une conquête de l’esprit. Il faut donc parler d’une transformation des mythes, plutôt que de leur survivance. Ainsi le Titan Prométhée, en lequel les romantiques voyaient la figure fascinante du rebelle, parvient à sa délivrance, et à sa réconciliation avec les Olympiens, dans la mesure où le feu qu’il a donné aux hommes est surtout le feu du sacrifice, et incarne ainsi le passage de l’âge barbare, où l’on consomme la viande crue, à l’âge de la civilisation, où la viande est cuite : « Nous le retrouvons aussi délivré car, tout comme la terre et le soleil, le feu que Prométhée avait apporté aux hommes pour servir à faire cuire les viandes qu’il leur avait appris à manger, constitue un moment essentiel de l’existence humaine, une condition nécessaire de la satisfaction des besoins humains, ce qui lui a valu d’être honoré pendant longtemps après la disparition des anciens dieux » (trad. Jankélévitch, II, 201). Ce qui dans Prométhée se conserve, est précisément ce qui nie et dépasse le stade primitif du Titanisme. Ainsi encore Héraklès, qui doit son admission parmi les Olympiens pour avoir débarrassé la terre des monstres qui la hantaient, et l’avoir en quelque sorte purifiée des hantises de l’imaginaire (Hegel fait d’Héraklès la personnification d’une révolution qui aurait détrôné les anciennes dynasties, dont le pouvoir était arbitraire et brutal, et qui se serait mise au service des nouvelles royautés, celles des Héraclides, qui ont instauré les premiers fondements de l’idée de justice : 592).
            Il faut en conclure que les dieux grecs ne sauraient être des personnifications des forces naturelles, comme le prétendaient déjà les interprétations stoïciennes des mythes grecs, mais qu’ils incarnent au contraire les conquêtes de la culture, triomphant par le progrès de l’esprit des contraintes de la nature. Ainsi disons-nous de Neptune qu’il est le dieu de la mer. Pourtant, il n’incarne nullement l’élément marin dans sa pure réalité physique, mais au contraire l’art de la navigation qui s’est révélé capable, par la seule force de l’esprit, de dompter la mer et de faire de cet obstacle naturel un lieu d’échange, de communication et de commerce entre les cités. C’est la raison pour laquelle, Poséidon est aussi le dieu protecteur des grandes cités côtières : « Ce fut lui qui bâtit les murs d’Ilion, et il était un dieu tutélaire d’Athènes, rappelle ici Hegel. En général, il était vénéré comme fondateur des villes parce que la mer est l’élément de la navigation, du commerce et de la réunion des hommes » (594). De même, c’est à tort qu’on ferait d’Apollon une simple personnification du soleil : le soleil apollinien, comme Platon l’a profondément pensé, est surtout le soleil spirituel de la connaissance, la lumière de l’esprit qui s’éclaire dans la connaissance de lui-même. Le précepte socratique est en effet apollinien. Ce que les hommes adorent inconsciemment en adorant le soleil extérieur et matériel, c’est la clarté intérieure et spirituelle de l’esprit conscient et rationnel, capable d’enfanter la science, ce que Platon nomme le « soleil intelligible », paradigme du soleil visible. La lumière physique est en effet inférieure à la lumière de l’esprit, puisque la première ne révèle que l’objet sur lequel elle se réfléchit, tandis que la seconde surmonte cette aliénation et se réfléchit en elle-même, dans le retour sur soi de la conscience : « La lumière de la nature ne se laisse pas apercevoir elle-même ; elle ne rend perceptible que ce qui lui est étranger, ce qui est extérieur à elle, sous ce rapport, elle se projette au dehors ; mais elle ne revient pas sur elle-même comme l’esprit » (595).  Ces développements sont encore critiques envers les thèses soutenues dans l’ouvrage de Creuzer : celui-ci en effet affirmait que les dieux du polythéisme grec, c'est-à-dire de la religion populaire et exotérique, représentaient les puissances de la nature, sa magie plutôt que ses forces simplement physiques. Hegel y fait explicitement allusion : « Si l’on suit en particulier l’histoire de la naissance des nouveaux dieux, on reconnaît avec Creuzer qui s’est attaché à développer ce point, l’élément naturel que les dieux de l’idéal classique conservent en eux-mêmes » (595). Hegel montre à l’inverse que, si les formes archaïques du divin semblent en effet encore engagées dans la nature, elles progressent vers des formes plus spiritualisées, qui relève de la sphère de la culture, qui est une anti-nature. C’est ainsi que la figure de Diane, d’abord incarnant la fécondité universelle de la nature, la Grande Mère sous la forme de l’Artémis d’Ephèse, devient chez les Grecs une jeune fille fière et libre ; de même Aphrodite, d’abord puissance de la nature en Asie, devient chez les Grecs une incarnation de la beauté et de l’amour. La nature n’est ainsi pas niée, mais plutôt conservée en son dépassement même, élevée au niveau supérieur de la culture, où règne l’esprit. L’animalité, sur laquelle Hegel ouvrait ce chapitre, par un retour sur soi qui confirme la forme circulaire de la méditation dialectique, et marque la réflexion de l’esprit, peut ainsi, après avoir été exclue du domaine de l’esprit par le sacrifice, la chasse et la métamorphose (figure de la déchéance morale), être à nouveau intégrée au monde de la culture : l’animal devient alors l’attribut symbolique du dieu, l’aigle pour Jupiter, la colombe pour Vénus, le paon pour Junon, simple signe de reconnaissance, allégorie de la vertu du dieu (le regard perçant de Jupiter, la douceur de Vénus, la majesté de Junon), animal en conséquence dépourvu de toute animalité, et qui ne doit sa conservation qu’à sa transformation en un hiéroglyphe symbolique.

 


NOTES

1- Voir Georges Bataille, Lascaux ou la naissance de l’art, Skira, Genève, 1955, p. 118-124.

2- C’est sans doute par Erasme (adage 2601 : « Le scarabée au pourchas de l’aigle », « Bouquins », p. 155 et sq) que l’histoire des métamorphoses du scarabée est parvenue jusqu’aux modernes.

3- Sur le lycanthrope dans la Grèce ancienne, voir Gernet, Anthropologie de la Grèce antique, Maspero, 1976, « Dolon le loup », p. 154-171.

4-« L’idée concrète de l’esprit exige qu’il se détermine et se différencie lui-même, et qu’en s’objectivant pour lui-même, il acquière par ce dédoublement une apparence extérieure qui, bien que corporelle et immédiatement présente, demeure cependant entièrement pénétrée par l’esprit » (I, 544). « Dédoublement » traduit l’allemand Verdopplung (éd. allemande, tome II, p. 16), redoublement, duplication, de Doppel, double. La phénoménologie de l’esprit dénombre les « doubles » successifs de l’esprit en quête d'une représentation adéquate à son essence propre.

5- Schelling, Philosophie de la mythologie, Jérôme Millon, 1994, « leçon seize », p. 235. Cette « pierre noire » est déjà mentionnnée par Charles de Brosses dans la seconde section de Du culte des dieux fétiches (1760)  : « La Matuta des Phrygiens (je cite ici ce peuple qui n’est pas oriental, mais une colonie d’Européens sortis des confins de Thrace et de Macédoine), cette grande déesse apportée à Rome avec tant de respect et de cérémonie, était une pierre noire à angles irréguliers. On la disait tombée du ciel à Pessinunte, comme on racontait aussi que la pierre adorée dans Abydos était venue du soleil ». L'auteur se réfère en note au Contre les Païens d'Arnobe.

6- Hegel semble oublier toutefois ici que le Prométhée du Protagoras n’est pas celui de Platon, mais bien celui de Protagoras lui-même. Il trahit peut-être ainsi son affinité avec le rationalisme sophistique du Ve siècle.

7- L’Orient au miroir de la philosophie. Une anthologie, textes présentés par Marc Crépon, Pocket, « Agora », 1993, p. 259 ; Roger-Pol Droit, L’oubli de l’Inde, une amnésie philosophique, PUF, « Perspectives critiques », 1989, p. 128. Du même auteur, Le Culte du néant. Les philosophes et le Bouddha, Seuil, « Points Essais », 2004.

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