Jacques Darriulat

 

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Introduction à la philosophie esthétique


    Mardis de la Philo : 24-9-2013
Mise en ligne : 1-1-2014

 

 

 

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DESCARTES

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DOSTOÏEVSKI

DUBOS

HANSLICK

HEGEL

HEIDEGGER

HOMERE

1- Incantation poétique

2- Héros et dieux

3- Guerre et paix

4- D'Achille à Ulysse

5- Poétique du dépaysement

6- Retour et reconnaissance

KANT

KIERKEGAARD

LACAN

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MONTAIGNE

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PASCAL

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SCHLOEZER

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HOMERE, OU L'AMOUR DE LA VIE
I- L'Iliade :
L 'incantation poétique

 

            Nous ne disposons d’aucun renseignement sur les techniques d’apprentissage et de déclamation – il faudrait dire d’incantation, puisque l’Iliade comme l’Odyssée sont divisées en vingt-quatre « chants », non en vingt-quatre chapitres, c'est-à-dire autant de chants qu’il y a de lettres dans l’alphabet grec, division qui ne date certes pas du temps d’Homère (on ne connaissait alors ni l’écriture ni l’alphabet) (1), mais qui est bien postérieure et que l’on doit sans doute aux scoliastes alexandrins du IIIe et IIe siècles avant notre ère (Zénodote, Aristophane de Byzance et Aristarque) – qui étaient celles des « aèdes » – poètes et diseurs d’épopées qui allaient de cour en cour pour y faire démonstration de leur art (aoidos, de adô ou aeidô, chanter, célébrer par ses chants) – à l’époque d’Homère – sans doute entre la fin du IXe et le milieu du VIIIe siècle BC. Le texte dont nous disposons aujourd’hui – dans la mesure où il nous a été fidèlement transmis : rappelons que notre connaissance du texte des deux poèmes ne remonte pas plus haut que le Xe siècle, avec l’excellent manuscrit byzantin Venetus 454, soit au moins 1700 ans après l’invention homérique, et 1500 après sa fixation par l’écriture – est sans doute bien éloigné des chants homériques tels que les princes ou les riches marchands pouvaient les  entendre au VIIIe siècle, à l’époque de leur naissance, puisque l’édition écrite de la vulgate ne semble avoir été arrêtée qu’à la fin du VIe siècle (c’est là du moins ce que croyaient les anciens ; la question est en vérité fort complexe), soit deux ou trois siècles plus tard, pour les fêtes des Panathénées, sous Hipparque, fils de Pisistrate, tyran d’Athènes, s’il faut s’en tenir du moins au témoignage aujourd'hui controversé d’un dialogue apocryphe autrefois attribué à Platon : « Entre beaucoup d’exemples de sagesse qu’a donnés Hipparque, il a le premier introduit dans ce pays les poèmes d’Homère et il a obligé les rhapsodes aux Panathénées à les réciter de suite en se relayant, comme ils le font encore aujourd’hui » (Hipparque, 228 b) (2). Dans ces conditions, il semble bien téméraire d’évoquer l’art des aèdes à l’époque d’Homère, un âge où les Grecs ne connaissaient pas encore l’écriture – ou plutôt où ils ne la connaissaient plus, car elle avait été pratiquée environ 400 ans avant Homère, vers 1200, par les administrations palatiales de la civilisation mycénienne – un âge par conséquent qui ne nous a transmis aucun traité de poétique, de rhétorique, de métrique ou de composition musicale : tout ce que les Grecs ont produit en ces domaines est de plusieurs siècles postérieur à Homère, et ne saurait constituer un témoignage bien fiable, du moins si l’on s’en tient à la vérité historique. Tel est pourtant le dessein de cette conférence : retrouver l’accent, le rythme, la fonction sociale, la poétique qui inspirent l’aède à l’époque homérique, soit la parole vive, inventive et puissante qui donna lieu à ces deux poèmes, bien avant qu’ils ne soient figés en un texte ne varietur, l’Iliade et l’Odyssée, que les anciens Grecs attribuaient au même Homère – personnage énigmatique dont on ne connaissait guère que la légende (on n’en sait guère plus aujourd’hui) – dont ils avaient fait le fondement même de leur culture et de leur civilisation, et en lesquels nous reconnaissons aujourd'hui encore, près de trois millénaires après la naissance du chant, la source de toute poésie.
            Cette tentative de reconstitution, sur quoi peut-elle s’appuyer ? Il n’y a sans doute pas de meilleur témoignage, sur l’art de l’aède homérique, que les poèmes homériques eux-mêmes. Car c’est un fait que l’inconnu que nous conviendrons désormais d’appeler Homère (il n’est pas même certain que les deux poèmes aient un seul et même auteur…) a pris soin de placer, dans son poème, des scènes où paraît l’aède récitant le poème, parfois même le poème homérique, comme une sorte de mise en abyme de son art qui fait songer à ces tableaux dans le tableau qu’aimaient insinuer dans leur composition, par le complexe jeu des reflets, les peintres flamands du XVe siècle. Ce pourquoi l’art d’Homère n’est pas un art naïf et immédiat, comme on se plaît souvent à le répéter, mais réfléchi au contraire, et capable de se représenter à lui-même le charme de son propre chant. On peut ainsi déceler, chez Homère lui-même, les éléments d’une poétique homérique qui nous aide à ressusciter, à retrouver le souffle de la grande voix qui s’est tue. On rencontre en effet, dans les poèmes d’Homère, un certain nombre de chanteurs, ou de poètes récitants : c'est dans l’Iliade Achille lui-même, ce féroce héros si souvent tenté par les larmes, presque autant que par les armes, qui déclame pour lui-même quand l’ambassade envoyée par Agamemnon – le glorieux Ajax, le sage Phénix et le prudent Ulysse – vient solliciter une audience dans le but d’infléchir la colère du héros : « Ils trouvèrent Achille se faisant plaisir avec la cithare chanteuse / Belle, richement ouvragée ; la traverse était d’argent / Il l’avait prise dans le butin après le sac de la ville d’Eétiôn / Elle charmait son cœur ; il chantait les exploits des hommes / Patrocle, silencieux, était assis face à lui / Attendant que le petit fils d’Eaque eût fini de chanter » (Il. IX, 186-191) (3). Et de même que le meilleur des Achéens, le héros de l’Iliade, inhumain dans le massacre, est poète à ses heures, de même Ulysse, le héros de l’Odyssée, qui des prétendants fera un horrible carnage, sait aussi être un fabuleux conteur, intarissable inventeur d’histoires qui sait charmer son auditoire et le suspendre à ses lèvres. Débarqué par les Phéaciens pendant son sommeil sur la rive d’Ithaque, Ulysse raconte une fable au premier qu’il rencontre, « un jeune pastoureau, un tendre adolescent qui serait fils d’un roi » (XIII, 222-223). Mais c’était Athéna qui avait emprunté cette forme, et la déesse aux yeux pers (glaukos, littéralement « aux yeux de chouette », mais on peut traduire aussi « aux yeux étincelants »), « un sourire aux lèvres », aussitôt perce à jour les ruses du fils de Laërte : « Quel fourbe, quel larron, quand ce serait un dieu, pourrait te surpasser en ruses de tout genre !... pauvre éternel brodeur ! N’avoir faim que de ruses ! Tu rentres au pays et ne penses encore qu’aux contes de brigands, aux mensonges chers à ton cœur depuis l’enfance… Trêve de ces histoires ! » (XIII, 291-296). Mais Homère chantant les exploits d’Ulysse n’est-il pas lui-même un « éternel brodeur », fertile en « contes de brigands » qui charme l’enfance, que les hommes ne quittent jamais tout à fait ? « Trêve de ces histoires », dit ironiquement Athéna, au moment même où Homère s’apprête à en évoquer un grand nombre d’autres plus invraisemblables encore ! Ulysse est ainsi dans l’Odyssée comme l’image de l’aède qui chante l’Odyssée, il l’est même littéralement quand, à la demande d’Alkinoos, roi des Phéaciens, il évoque ses aventures (chants IX à XII, soit le sixième du poème) depuis son départ de Troie et avant son arrivée dans l’île de Calypso, c'est-à-dire avant l’Odyssée elle-même, puisque c’est précisément par là que commence le premier chant, comme si Homère reconnaissait en Ulysse le prédécesseur de son chant (4). Quand le héros a terminé son récit, Homère décrit l’auditoire : « Tous se taisaient, et tenus sous le charme, ils gardaient le silence dans l’ombre de la salle » (XIII, 1-2). Et c’est à un aède que le « divin porcher » (chez Homère, même les porchers sont « divins ») Eumée compare Ulysse, encore méconnu sous ses haillons de mendiant : « As-tu vu le public regarder vers l’aède, inspiré par les dieux pour la joie des mortels ? Tant qu’il chante, on ne veut que l’entendre, et toujours ! C’est en pareil charmeur qu’Ulysse fut en mon manoir » (XVII, 518-521). Et si Ulysse se fait aède à la demande du père de Nausicaa, c'est parce qu’il s’est lui-même fait connaître, se nommant enfin par son nom, trahi par les larmes que lui fait verser le chant d’un autre aède, autre Homère dans le chant d’Homère, Démodokos – littéralement « celui qui est honoré du peuple » – qui, à la demande d’Ulysse lui-même, chante la machination du cheval et le sac de Troie (VIII, 487-520).  Il est deux aèdes dans l’Odyssée, non par analogie comme Achille et Ulysse, mais aèdes professionnels, Phémios (5) qui, dès le premier chant, « chantait le retour de Troie et les misères que, sur les Achéens, Pallas avait versées » (I, 325-327) ; Pénélope veut faire taire le chant, qui lui rappelle son deuil cruel, mais Télémaque prend la défense du récitant : le chant vient du dieu, l’aède n’en est pas responsable, lui qui ne fait que déclamer les poèmes qui sont au goût du jour (6). Ulysse partage avec son fils cette sollicitude envers l’aède, puisque Phémios, avec Médon le héraut cher à l’enfance de Télémaque, seront les deux seuls, parmi ceux qui sont enfermés dans la salle du festin, à échapper au massacre des prétendants (XXII, 344-404). Plus prestigieux que Phémios est Démodokos, l’aède qui chante à la cour des Phéaciens, et en l’honneur de l’hôte étranger dont nul ne connaît encore le nom, Ulysse, la querelle d’Achille et d’Ulysse (il n’y en a pas trace dans l’Iliade, une loi, dite « loi de Monro » (7), voulant que toutes les allusions à la guerre de Troie qu’on trouve dans l’Odyssée ne reprennent jamais un épisode faisant partie de l’Iliade), les amours d’Arès et d’Aphrodite et l’histoire du cheval de Troie. Son rôle est considérable, puisque sur les presque 600 vers du chant VIII, Démodokos, tantôt personnage décrit, tantôt faisant entendre son chant, occupe à lui seul près de 150 vers ! Lorsque Démodokos fait son entrée, accompagné du héraut, sur la scène de la cour du roi Alkinoos, on a vraiment l’impression que c’est Homère lui-même qui fait irruption au sein de son poème : « Le héraut apparut menant le brave aède à qui la Muse aimante avait donné sa part et de biens et de maux, car, privé de la vue, il avait reçu d’elle le chant mélodieux. Pour lui faire une place au centre du festin, Pontonoos prit un fauteuil aux clous d’argent, qu’il s’en vint adosser à la haute colonne, et, pendant au crochet, au-dessus de sa tête, la cithare au chant clair, il lui montrait à la reprendre de ses mains, puis approchait de lui sur une belle table, la corbeille du pain et la coupe de vin pour boire à son envie » (VIII, 62-70). Dans ce passage, tout se passe comme si Homère plaçait son image au centre d’une cour royale, et l’élevait sur un trône (8). Le vrai roi des Phéaciens, ce n’est pas Alkinoos, c’est Homère lui-même, alias Démodokos.
            Qu’est-ce donc qui légitime le sacre de l’aède par l’aède lui-même ? Dans une société orale, où l’écriture a tout au plus un rôle de comptabilité mais non d’invention poétique, une société où la loi n’est autre que la coutume, transmise par le relais des générations, une société où la femme est réduite au statut, sinon de l’esclave, du moins de la servante, une société où le Père, en tant que porte-sceptre, est investi de l’autorité de la tradition, dont il détient le relais que, devenu vieillard, il passera à son fils, une société enfin sans véritable conscience ni intériorité, et dont les membres reçoivent leur identité, non de l’idée qu’ils ont d’eux-mêmes, mais de leur réputation auprès des autres – réputation en laquelle réside gloire et honneur sans lesquels la vie ne vaut pas la peine d’être vécue – il faut une parole sacrée, inspirée par les muses qui sont des déesses, qui rassemble dans un chant général et commun les voix parfois discordantes des Pères, et des Pères de leur pères. Cette voix, célébration des valeurs communes en lesquelles se reconnaît la communauté civile et religieuse, c’est la Voix qui se fait entendre dans le chant de l’aède. Ce discours de tous et de personne, en lequel tous se retrouvent et communient tant que dure la magie du chant poétique – si le poète épique chante la guerre, inversement, quand commence le chant de l’aède, la paix s’établit autour de lui et tous, assis, l’écoutent en silence, comme Patrocle écoute Achille – c’est celui du mythe et de la légende, le récit des exploits qui ont valeur de modèle pour les vivants qui écoutent dans le présent, responsables d’une tradition héritée et qu’ils devront bientôt léguer. Tel est l’esprit de l’épopée que Hegel, dans les premières décennies du XIXe siècle, définissait déjà avec exactitude : « C’est l’ensemble de la conception du monde et de la vie d’une nation qui, présentée sous la forme objective d’événement réels, constitue le contenu et détermine la forme de l’épopée proprement dite. De cette totalité font partie, d’une part la conscience religieuse de toutes les profondeurs de l’esprit humain, et, d’autre part, la vie concrète, la vie politique et domestique, et jusqu’aux besoins que comporte la vie extérieure et aux moyens de les satisfaire. Et la poésie épique vivifie tout cela, en le rattachant étroitement à des individus, car pour la poésie le général et le substantiel n’existent qu’à l’état de présence vivante dans l’esprit » (Esthétique, trad. Jankélévitch, IV, 101). C’est pourquoi la poésie d’Homère, et le chant épique en général, réussit cette jonction miraculeuse du plus général – les héros d’Homère sont universels, ils n’ont jamais cessé de vivre, ils vivent encore, et Ulysse est le titre de l’un des plus grands romans du XXe siècle – et du plus particulier – Homère n’a pas son pareil pour évoquer le sillage écumeux laissé par l’étrave du vaisseau dans la mer « vineuse », le coup de vent qui fait tanguer les grands arbres de la forêt tandis que le ciel s’assombrit, la viande du festin qui grille dans la flamme, le vin clair et doux comme le miel dans la coupe et le firmament illuminé qui, la nuit, veille sur le repos des guerriers. Il est peu de poème au monde qui induise chez l’auditeur une adhésion aussi spontanée, qui réussisse mieux qu’Homère à rassembler les auditeurs dans le cercle d’une écoute à la fois attentive et captivée. « Démodokos » : « celui qui est reçu favorablement par le peuple », de dêmos, le peuple, et dekhomai, recevoir avec faveur, accueillir sous son toit. L’aède est l’hôte qu’on reçoit bien volontiers – les rites d’hospitalité, qui définissent des règles essentielles à la perpétuation de la vie sociale, puisqu’elles régissent le lien civil, qui est le jeu du don et du contre-don, occupent une place considérable dans les poèmes homériques – puisqu’il est le ministre de la paix sociale, le célébrant des héros en lesquels tous se reconnaissent, avec lesquels chacun, par émulation, veut rivaliser. Le très réaliste Thucydide, qui a pourtant fort peu la tête épique, le dit clairement au début de sa guerre du Péloponnèse. Sans l’Iliade, les Grecs ne seraient jamais devenus les Grecs : « Avant la guerre de Troie, la Grèce ne paraît pas avoir entrepris quoi que ce soit en commun ; et à mon avis, ce nom – la “Grèce” – ne s’appliquait même pas à ce qu’aujourd’hui nous entendons par là. Avant Hellen, fils de Deucalion, cette appellation ne semble pas même avoir existé ; chaque peuple, surtout celui des Pélasges, prêtait à la Grèce une appellation tirée de son nom particulier » (Les Guerres du Péloponnèse, I, 3). La guerre de Troie est le mythe fondateur de la communauté des Hellènes, elle est la scène primitive de l’identité hellénique. Et tandis qu’Homère chante le carnage, la querelle et le duel à mort, son chant rétablit paradoxalement la paix par la communion d’une écoute enthousiaste. N’est-ce pas ainsi qu’Ulysse lui-même, ce double d’Homère, célèbre l’harmonie retrouvée qui se répand en cercle autour de l’aède Démodokos, ce reflet d’Ulysse, chantant la querelle d’Achille et d’Ulysse, ou l’histoire du cheval de Troie : « Seigneur Alkinoos, l’honneur de tout ce peuple, j’apprécie le bonheur d’écouter un aède, quand il vaut celui-ci : il est tel que sa voix l’égale aux Immortels ! Et le plus cher de mes vœux, je te jure, est cette vie de tout un peuple en bon accord (kata dêmon apanta), lorsque, dans les manoirs, on voit en longues files les convives siéger pour écouter l’aède, quand, aux tables, le pain et les viandes abondent et qu’allant au cratère, l’échanson vient offrir et verser dans la coupe. Voilà, selon mon gré, la plus belle des vies !... » (Odyssée, IX, 2-11).
            Au dernier livre de La République, Platon constate, pour le déplorer, combien Homère était devenu au Ve siècle « l’instituteur de la Grèce, tên Hellada pepaideuken » (Rép. X, 606 e). Homère était, aux yeux de Platon, « le plus grand des poètes et le premier des poètes tragiques » (607 a). Cependant, selon le philosophe, pour ce qui est de rédiger la constitution (politeia) et d’établir les lois de la cité, l’esprit ne saurait s’aliéner à un maître, si grand soit-il : la pensée, doit, en se recueillant en son intériorité, trouver en elle-même la mesure de toutes choses, ne connaître qu’elle-même, c'est-à-dire ne penser que par elle-même, et non s’en remettre aux opinions des poètes, ni même aux sentences des oracles, venus de la Muse ou du dieu, et non du fonds propre de l’esprit. C'est un fait qu’à l’époque de Platon, Homère était devenu, par le biais de l’interprétation allégorique, une sorte de vademecum, un encyclopédiste infaillible auquel on demandait de résoudre aussi bien des problèmes de stratégie militaire, de mœurs, de droit, d’économie, ou bien de décider de questions d’histoire ou de géographie, voire de cosmologie. Et, d’une certaine façon, c’était bien là ce qu’entendaient les contemporains d’Homère dans les chants épiques de l’Iliade et de l’Odyssée. La chrétienté médiévale avait la Bible ; les Grecs avaient Homère. Et il est bien vrai qu’on peut lire Homère de diverses façons, non seulement en s’abandonnant au pur plaisir du chant, mais encore en discernant, dans la querelle d’Achille et d’Agamemnon, un conflit de droit – droit aristocratique, bien entendu, non démocratique – qui repose sur la valeur fondamentale de l’honneur, et ne peut être tranché que dans le respect du code de l’honneur, plus subtil qu’on ne croit. David Bouvier a montré, en lisant l’Iliade, les argumentations fort complexes (par exemple lors de l’ambassade d’Ulysse, Ajax et Phénix auprès d’Achille, au chant IX) d’un prédroit féodal, inspiré de la Grèce mycénienne et reposant sur la seule tradition orale (Le Sceptre et la lyre, Millon, 2002). Après tout, toute la première partie de l’Iliade (jusqu’à la mort de Patrocle, au chant XVI) peut être considérée comme une étude de cas purement juridique : une querelle vient troubler l’ordre social, une compensation équitable doit être trouvée pour que soit rétabli l’équilibre. Encore le droit ne répond-il qu’aux questions qui se posent dans le domaine profane, où l’homme se mesure à l’homme selon la convention d’un contrat ; on demandait encore à Homère de résoudre les questions qui se posaient dans le domaine religieux, où l’homme fait l’épreuve du sacré, dans une démesure que seule peut apaiser l’économie du sacrifice qui suppose, non la réciprocité juridique des intérêts conflictuels, mais un don plus périlleux, puisqu’il peut tout aussi bien ne jamais être payé en retour, sans que la partie lésée ait pour autant le droit de réclamer justice : c’est ainsi que les Troyens ont toujours manifesté le plus grand respect envers les dieux, et qu’ils seront pourtant abandonné par Zeus à leur sinistre destin (9).  Il est donc possible de lire l’Iliade non seulement avec les lunettes du juriste, mais encore avec celles du théologien. En vérité, tout ce que les Grecs savaient de leurs dieux, ils le tenaient essentiellement d’Homère et d’Hésiode, c'est-à-dire de l’Iliade, de l’Odyssée et de la Théogonie. Les Grecs eux-mêmes en étaient d’ailleurs fort conscients, et Hérodote au cinquième siècle le déclare explicitement dans son Histoire (on pourrait tout aussi bien traduire Recherche, ou Enquête) : « Quelle est l’origine de chacun des dieux de la Grèce ? Ont-ils toujours existé ? Quelles formes avaient-ils ? Voilà ce que les Grecs ignoraient hier encore, pour ainsi dire. Car Hésiode et Homère ont vécu, je pense, quatre cents ans tout au plus avant moi ; or, ce sont leurs poèmes qui ont donné aux Grecs la généalogie des dieux et leurs appellations, distingué les fonctions et les honneurs qui appartiennent à chacun, et décrit leurs figures. » (Histoires, I, 53).
            Ce n’est donc pas en son nom propre que chante l’aède, mais au nom de la communauté humaine que son chant rassemble, qui se reconnaît en son chant. L’aède est le medium de la Voix qui parle pour tous. Pour tous et pour personne, puisque nul Grec n’a jamais parlé la langue d’Homère : les anciens étaient déjà sensible au caractère composite de cette langue, tissu bigarré où se mêlaient des archaïsmes oubliés depuis longtemps, et des dialectes restés distincts, doriens, ioniens et athéniens. Chaque cité a sa langue, mais dans le chant d’Homère c’est toutes les cités qui fusionnent en une seule voix (10). Cette Voix est douée d’une nécessité propre, qui impose au récitant son rythme et sa scansion, conformément au génie de la langue qui s’exprime en toute plénitude dans l’hymne épique. Une telle poésie ne peut être qu’orale, elle ne peut se manifester que par la performance d’une déclamation publique (qui a lieu soit dans les cours des princes, soit dans le domaine des riches marchands, mais aussi bien sur la place du village). La Voix qui parle par la bouche de l’aède est vivante, elle ne récite pas un texte écrit qui lui est imposé, elle réinvente le poème chaque fois qu’elle le chante, elle varie et s’enrichit à l’image des traditions qui demeurent en se transformant, c'est-à-dire en s’adaptant au présent toujours nouveau, de génération en génération. Certes, nous l’avons vu, l’Iliade comme l’Odyssée ont fini par se fixer en un texte canonique, sans doute vers la fin du VIe siècle ; mais elles avaient alors vécu près de trois siècles de leur vie propre, selon le génie du récitant, mêlant des mythes et des légendes annexes au noyau stable de l’épopée. Dans le cas de l’Iliade, par exemple, ce noyau peut se résumer à la querelle d’Achille et d’Agamemnon (chant I), à l’avantage des Troyens qui menacent les vaisseaux grecs (chant XI), à la mort de Patrocle, pivot autour duquel tourne le drame épique, ce qu’Aristote nomme peripeteia (chant XVI), à la mort d’Hector (chant XXII), et enfin à la grandiose réconciliation finale d’Achille avec Priam, seule en mesure de conclure et d’apaiser le cycle de la colère (chant XXIV) : sur les vingt-quatre chants de l’Iliade, cinq suffisent pour résumer l’action. Cela ne signifie certes pas que tous les autres sont des additions tardives, mais il est certain que des chants ont été ajoutés plus tard au poème original, le plus flagrant – comme tous les critiques l’ont reconnu, et cela depuis l’antiquité elle-même – étant le chant X, ou « Dolonie », qui raconte comment, envoyés en mission de nuit, Ulysse et Diomède tuent le troyen Dolon et massacrent le roi thrace Rhésos ; de même s’accorde-t-on à reconnaître, dans l’épisode des amours d’Arès et d’Aphrodite, chanté par Démodokos au chant VIII de l’Odyssée, une adjonction étrangère au poème d’Homère. Ce n’est pas pour rien que l’aède devient à l’époque à classique « rhapsode » (les deux termes sont proches, mais l’aède se distingue du rhapsode en ce qu’il compose lui-même les poèmes qu’il déclame ; le rhapsode est plus tardif, et récite un texte canonique dont il ne peut s’écarter), de rhaptein et ôdê, celui qui coud ensemble divers chants entre eux. Le poète hérite d’une matière légendaire, le cycle d’Achille pour l’Iliade, le cycle d’Ulysse pour l’Odyssée (comme son nom l’indique ; l’Iliade aurait pu, elle aussi, s’intituler l’Akhillée…), et autour de ce noyau primitif, tisse avec plus ou moins d’habileté l’étoffe de son chant. L’habileté d’Homère est grande, et l’unité dramatique de l’Iliade, comme celle de l’Odyssée, dont la composition est d’une bien plus grande complexité, sont remarquables. Une telle performance exigeait une technique très poussée de la déclamation publique, un apprentissage approfondi de la mémoire et une maîtrise exceptionnelle du rythme de l’hexamètre, de la scansion du vers homérique. Qu’on y pense : il y a près de 16.000 hexamètres dans l’Iliade, et la récitation complète des vingt-quatre chants exigerait environ vingt-sept heures ! (11) Il est vrai que l’aède avait la liberté de choisir tel ou tel thème épique, de commencer où il le souhaitait, et de coudre ensemble, selon son humeur, des morceaux distincts pour les rassembler dans l’unité d’un chant (12). La langue d’Homère, bien qu’elle nous soit parvenue développée dans le fixateur de l’écriture, conserve l’empreinte d’un art qui fut d’abord tout oral. Cette langue ne ressemble à aucune autre, les critiques depuis l’antiquité en ont toujours eu conscience : ils lui reprochaient ses nombreuses répétitions (par exemple, lorsque Zeus envoie le rêve trompeur, celui qui passe par la porte d’ivoire – Od., IXI, 560-567 – pour qu’il s’insinue dans le sommeil d’Agamemnon (Il. II), le rêve répète mot pour mot le message du dieu ; ainsi font tous les hérauts parvenus à leur destinataire ; ou bien encore la préparation du festin rituel qui accompagne le sacrifice, toujours reprise et qui s’achève sur le vers obligé : « Ils mangèrent, satisfaits, car les parts étaient égales », II, 431 ; on pourrait longtemps continuer cette liste…), les interpolations qui brisent, en apparence du moins, la continuité de l’action (la « Dolonie » par exemple, ou bien encore les tirades qui semblent extérieures à l’action, Nestor rappelant les exploits de sa jeunesse à Patrocle, ou bien Phénix semblant se perdre devant Achille dans l’évocation de la geste de Méléagre), et aussi ces épithètes invariables, qui semblent revenir de façon mécanique et sans rapport à l’action : « l’Aurore aux doigts de rose », « les Achéens aux bonnes jambières », « les Troyens dompteurs de cavales », « Achille aux pieds rapides », « Ulysse aux mille ruses », « Hector au casque étincelant », « Zeus l’assembleur des nuées », « Athéna aux yeux étincelants (ou “pers”, ou “de chouette”) » et « Poséidon, l’Ebranleur de la Terre »… Ces apparentes facilités ont été durement critiquées à l’âge classique, et l’on préférait alors Virgile à Homère, pour sa langue lettrée, savante et toujours élégante. Pourtant les romantiques soupçonnaient que les étranges particularités du style homérique – depuis au moins Giambattista Vico dès le XVIIIe siècle – provenaient de la performance orale seule capable de donner vie au poème, en un temps où l’écriture était encore inconnue. Un jeune philologue américain, Milman Parry, venu faire ses études à Paris, soutient en Sorbonne en 1928 sa thèse de doctorat sur L’Epithète traditionnelle chez Homère et renouvelle totalement cette question : il met en évidence une économie propre au style oral, qui est un style « formulaire », en ce sens qu’il dispose d’un stock de formules traditionnelles, certaines pour des raisons de métrique ne pouvant s’insérer qu’avant la césure de l’hexamètre, d’autres seulement après (par exemple, Ulysse nommé avant la césure est nécessairement dit « diogenês, né de Zeus » ; mais après la césure, il devient invariablement « polutlas dios, qui endure et divin »). La performance de l’aède nous devient alors mieux compréhensible : le rythme du vers lui dicte certaines formules plutôt que d’autres, il construit son poème comme une sorte de mosaïque composée de tesselles qu’il garde présentes à l’esprit. C'est en ce sens que le vers soulage la mémoire, non seulement par la contrainte du rythme, qui donne forme constante à la déclamation, mais par les formules traditionnelles qui viennent s’impliquer naturellement dans cette structure prédéterminée. Certes, l’aède travaille sa mémoire, il débite d’un seul souffle les longues généalogies des hommes et des dieux, il se lance au chant II de l’Iliade dans le long catalogue des vaisseaux grecs venus, comme autant de bataillons, tous sous la conduite de leur chef, se battre sous les murs de Troie (soit 300 vers, contenant chacun un ou plusieurs noms propres, débités d’un seul souffle, et suivis des 60 vers de la liste des chefs troyens !), il préserve de l’oubli les noms et les exploits des morts que les vivants négligeraient sans lui. Certains ont trouvé fastidieuse cette longue suite de noms propres. C’est ne pas entendre ce qu’il peut y avoir d’épique dans une sonnerie aux morts, la puissance vocative de la liste d’appel (le vocatif est le mode qui manifeste dans toute sa plénitude la souveraineté de la Voix), les héros morts, revenant de l’Hadès où ils gémissaient depuis des siècles, reprennent les couleurs de la vie à l’appel de leurs noms et paraissent pour mimer les hauts faits qui font toujours leur gloire, par la magie du verbe poétique qui a pouvoir de ressusciter les morts. Au chant XI de l’Odyssée – que la tradition nomme « la Nekuia », c'est-à-dire l’évocation des morts – Ulysse descendu aux enfers grâce aux recommandations de la magicienne Circé, convoque les ombres qui rôdent dans l’Hadès, le devin Tirésias qui lui prédit la suite de son voyage, Agamemnon, Achille, son infortuné compagnon Elpénor, et sa mère Anticleia. Ces pâles fantômes se traînent péniblement, et Achille lui-même, lui que nul n’a jamais fait fléchir, reconnaît préférer être démuni de tout chez les vivants plutôt qu’être roi chez les morts (XI, 488-491). La magie noire de la nécromancie ne sait convoquer que des ombres sans substance, des spectres anémiés que la vie ne soulève plus. Mais la magie blanche du verbe poétique, l’incantation de l’aède, font paraître dans le cercle de lumière du présent les héros d’autrefois redevenus vivants, et partageant pleinement avec les vivants qui écoutent l’aède, les joies et les fureurs qui sont le lot commun des mortels (13).
            L’aède n’a donc rien d’un récitant qui répète avec monotonie la dictée qui lui a été imposée : bien au contraire, il semble inventer le poème dans le moment même où il le profère, il le recrée chaque fois qu’il le chante, et le chante chaque fois comme s'il chantait pour la première fois. Face à cette création perpétuée, le Temps n’a pas de prise, et la mémoire des exploits des héros, qui sont  à nous comme les géants sont aux nains, demeure intacte, pieusement gardée dans un éternel présent par le chant de l’aède, qui toujours revient comme pour la première fois. Ce serait un grave contresens de juger que le style formulaire fige l’expression du poète, un peu comme le font dans la langue courante les proverbes – qui sont des phrases cimentées – par lesquels se perpétue la plate et déprimante sagesse des nations. C'est tout le contraire qui est vrai : soulevé par le rythme et le souffle du vers, en communion avec la scansion d’une langue qui est sans doute le premier des héros célébrés par l’hymne épique, l’aède parvient à une sorte d’euphorie incantatoire qui le transfigure et fait de lui comme le ministre sacré de l’inoubliable, de ce qu’il ne faut pas oublier si l’on veut éviter que la communauté, se détournant des valeurs qui l’unissent, se disperse, décline et meure. Passionné par la littérature orale, Milman Parry, accompagné de son collègue et élève Albert Lord, se met en 1934-35 en congé de l’Université d’Harvard (la Sorbonne n’avait pas su garder ce merveilleux linguiste), et part au Kosovo, en Yougoslavie, à la recherche des bardes (on les nomme là-bas « guslari », ce qui signifie « chanteurs »), le plus souvent analphabètes, mais capables de chanter des milliers de vers célébrant la victoire serbe contre les Turcs à la bataille du Champ des Merles (1389), mythe fondateur de la nation serbe. C'est ainsi qu’Avdo Mededovic, le plus doué des guslari de Novi Pazar, improvisa à la demande du linguiste-ethnologue, une épopée de 12.000 vers (l’Iliade en compte 15.688), la récitation s’étendant sur deux semaines, séparées par une semaine de repos, le barde chantant deux heures le matin et deux heures l’après-midi. Toutes les caractéristiques du style formulaire des poèmes homériques se retrouvaient dans les chants de Mededovic. On dit que l’épopée était médiocre, et l’on doit bien reconnaître que tous les aèdes ne sont pas Homère. Mais il n’en est pas moins vrai qu’on avait retrouvé ainsi la source vivante de l’incantation épique, qui est le Graal de tous les poètes.

            Platon l’a dit : c’est l’écriture qui nous a fait perdre la mémoire, nous nous sommes déchargés sur les livres de cette mémoire magique de l’aède, créatrice et non répétitive, qui n’annone pas sa leçon, mais recrée plutôt le passé et triomphe par là de l’oubli comme de la mort. C’est en ce souffle que toute poésie respire. Nous pouvons nous en faire une idée en lisant pendant quelques heures un poète facile et chantant, par exemple Le Roman inachevé d’Aragon, en lequel on entend distinctement ce que le poète lui-même nomme « l’éternelle romance » : une fois le livre fermé, les vers continuent de naître sur nos lèvres, notre respiration est en phase avec le rythme du vers, nous avons le sentiment d’être devenus naturellement poètes, certitude il est vrai toute subjective qui ne résistera pas à l’épreuve d’une composition véritable. Ce transport poétique, qui souffle à l’aède le déploiement de son vers, il a lui-même toutes les caractéristiques d’un souffle animé, et l’expiration de la profération n’est que l’effet d’une inspiration préalable, à la fois la venue de l’air nouveau qui gonfle les poumons et de l’afflux des mots et des images qui se précipitent dans l’imagination créatrice du récitant : « Ainsi la création poétique, écrit Claudel, dispose d’une espèce d’atelier où il faut distinguer le métal, la forge et le soufflet. C'est de ce triple élément mis en œuvre suivant des formules variées que sort le vers. Le métal spirituel entre en fusion sous un afflux ou vent venu du dehors (inspiration) et le flan informe reçoit le poinçon de la conscience sous le choc du balancier » (14). En cette forge intérieure, naît non seulement le poème, mais encore le chant et ce que nous nommons la musique : l’euphorie créatrice qui possède le verbe du récitant le porte à amplifier l’accent, à magnifier le récit par l’inflexion du chant. Le chant est ainsi autoréférent, il ne souligne pas les différents épisodes du récit, triste pour les funérailles, joyeux pour la victoire, c’est l’invention poétique qu’il célèbre au contraire, le miracle de l’épopée toujours recréée. Seule la joie de chanter suscite le chant du récitant. Le guslari  s’accompagne de la gusla, sorte de banjo dont la caisse est arrondie, les cordes étant frottées à l’aide d’un archet, diminuendo quand le vers se prolonge et agitato quand le rythme du récit se précipite ; l’aède s’accompagne de la phorminx, ancêtre de la cithare, dont on pince les cordes, résonance punctiforme qui souligne les points d’appui de l’hexamètre bien scandé. Il y a là un phénomène tout à fait fondamental où il est possible de distinguer quelque chose qui se rapproche de la naissance du chant, c'est-à-dire sans doute de l’origine de la musique elle-même. Les grands compositeurs ne s’y sont pas trompés, et Béla Bartók, qui était dans le domaine du folklore musical comparé un amateur très éclairé, invité aux Etats-Unis à l’université de Columbia en 1940, soit cinq ans après la mort de Milman Parry, consacrera un temps considérable au déchiffrement et à la transcription des chants serbo-croates enregistrés par le linguiste-ethnologue américain en Yougoslavie sur près de 2500 disques. C'est dans la performance orale de l’épopée chantée qu’il nous est donné de penser, peut-être sous sa forme la plus pure, ce qu’on a coutume de nommer l’inspiration poétique, qui n’est en fait que le premier temps de la mesure poétique, mesure à deux temps dont le second est celui de l’expiration, qui est verbe et scansion. Quand l’aède homérique invoque la Muse, il ne se prépare nullement à un état de possession, il n’est pas un « enthousiaste » qui s’abandonne tout entier au dieu qui s’empare de son esprit, il n’est pas un prophète par la gorge duquel le dieu rend ses oracles, il a besoin au contraire de toute sa lucidité, de rassembler tout son savoir dans l’ivresse de la profération, de rebondir exactement avec le rythme juste de l’hexamètre. L’aède inspiré n’est pas la Pythie, il est un maître accompli dans la plénitude de son art – chacun sait que beaucoup de travail, beaucoup de métier, est la condition nécessaire, mais non suffisante, de l’improvisation géniale (15) – il ressemble en fin de compte aux héros de l’épopée qui se dépassent eux-mêmes dans l’ivresse du combat, parvenant à un état d’ultralucidité, concentrant toute leur énergie dans la perfection du geste accompli. Et si le héros de l’épopée, que ce soit Achille ou plus encore Ulysse, est souvent si proche de l’aède, n’est-ce pas parce que l’aède lui-même est proche du héros ? Homère est le héros de la cithare et du Verbe comme Achille est celui de la lance et du glaive de bronze, et il y a une geste de l’aède comme il y a une geste d’Achille. C'est pourquoi le poète invoque la Muse, non seulement, comme c’est la coutume, en prélude à son chant, priant le dieu du Verbe qu’il lui communique et l’esprit et le souffle – « La colère, chante-la, déesse, celle du fils d’Achille… » – mais il l’invoque plus encore avant d’entamer les morceaux de bravoure, et plus particulièrement ce catalogue des vaisseaux qui est dans l’Iliade le plus grand défi que le récitant lance à sa propre mémoire, l’exploit le plus glorieux de son chant 

Et maintenant dites-moi, Muses habitantes de l’Olympe
Car vous êtes, vous, des déesses : partout présentes, vous savez tout
Nous n’entendons qu’un bruit, nous, et nous ne savons rien
Dites-moi quels étaient les guides, les chefs de Danaens
La foule [plêthos], je n’en puis en parler, je n’y puis mettre de nom
Eussé-je dix langues, dix bouches
Une voix que rien ne brise, un cœur de bronze en ma poitrine
A moins que les filles de Zeus qui tient l’Egide, les Muses de l’Olympe
Ne rappellent [mnêsaiath’] elles-mêmes ceux qui étaient venus sous Ilion
                                        Iliade, II, 484-492

            Par ces mots, le poète ne délègue pas à la Muse la responsabilité de son chant, il la prie plutôt de lui communiquer l’élan sans lequel il ne saurait l’assumer jusqu’au bout. On comprend mieux maintenant pourquoi Mnêmosunê, déesse de la mémoire, fille du ciel et de la terre, d’Ouranos et de Gaïa, qui fut aimée de Zeus neuf nuits de suite, de cette étreinte engendra les neuf Muses, qui inspirent les artistes et les poètes dans le temps qu’ils enfantent à leur tour des œuvres. La mémoire créatrice, Mnémosyne, est la source jaillissante de toute poésie. C'est par la Muse que le poète ouvre son âme au souffle de l’inspiration, qui se dépense et se répand ensuite dans le rythme de l’hexamètre. « De très nombreux témoignages de l’époque classique, remarque Marcel Detienne dans un chapitre consacré à “La mémoire du poète”, permettent de penser que μoῦσα, nom commun, signifie la parole chantée, la parole rythmée », et s’applique en ce sens tout autant aux « pieux accents des aèdes » (Eschyle, Suppliantes, v. 695), aux chants de la Sphinx (Euripide, Phéniciennes, v. 50) ou aux « chants divins de la flûte » (Platon, Lois, 829 d) (16). Si Mémoire, mère des Muses, est pour les Grecs la source de toute invention poétique, dans quelque art que ce soit, c’est parce qu’elle est la mémoire vive et créatrice qui transfigure le Verbe du poète dans le rythme du chant, et non la mémoire morte et répétitive qui récite la leçon invariable que l’écriture a déposée dans le silence du livre, comme l’on met un cadavre au tombeau : « L’écriture, prédit Platon, produira l’oubli dans les âmes en leur faisant négliger la mémoire : confiants dans l’écriture, c’est du dehors par des caractères étrangers, et non plus du dedans, du fond d’eux-mêmes, qu’ils chercheront à susciter leurs souvenirs […] Ce que l’écriture procurera à ses disciples, c'est la présomption qu’il possède la science, non la science elle-même ; car, après avoir beaucoup lu sans apprendre, ils se croiront très savants, et ne seront le plus souvent que des pédants de commerce incommode, parce qu’ils se croiront savants sans l’être » (Phèdre, 275 ab). Dans ce célèbre passage du Phèdre, Platon est plus proche qu’il ne pense de l’art poétique selon Homère et les Homérides, lui qui est pourtant si critique pour les licences du poème d’Homère, lui qui fait volontiers le portrait de l’aède en possédé devenu dément, instrument inconscient et passif des divins champs magnétiques qui le traversent, à la façon d’un cercle de fer attaché à un aimant, par une magie sympathique qu’on ne saurait expliquer (Ion). Certes, la réminiscence (Anamnêsis) du philosophe selon Platon est distincte de la mémoire vive (Mnêmosunê) qui transporte l’aède selon Homère, mais l’une comme l’autre s’accordent à reconnaître dans la mémoire la source vive du savoir authentique. Le savoir philosophique s’accomplit dans le cercle de la conscience de soi, de la pensée se connaissant elle-même par un acte d’attention, dans le recueillement tout intérieur de la méditation, réflexion silencieuse et méthodique, selon le cheminement dialectique qui est le mouvement de l’enfantement du concept ; le savoir du poète s’accomplit dans l’ivresse du verbe proféré, au milieu du cercle des auditeurs enthousiastes qui applaudissent et soutiennent de leur cris l’exploit de l’improvisation, dans la joie du passé ressuscité par la magie de l’incantation, au sein d’une communauté soudée par l’évocation de ses héros qui sont pour les vivants autant de modèles et de repères, qu’il ne faut jamais laisser tomber dans l’oubli, car ce serait trahison. Seul l’entendement, qui est attention de la pensée à elle-même, guide le cheminement de la pensée philosophique. La liberté de imagination, qui a le pouvoir de rendre présent ce qui est absent, de donner à voir l’invisible, règne en souveraine sur l’invention poétique. Telle est la magie mimétique de l’incantation poétique que Platon redoutait, car son charme divertit l’esprit de lui-même et le méduse, fasciné par l’apparition fantastique des héros morts qui répondent à l’aède, quand l’aède les appelle par leurs noms.

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NOTES

1- L’archéologie nous apprend que c’est seulement dans la seconde moitié du VIIIe s. BC que les Grecs empruntent aux Phéniciens leur alphabet. Il y a, dans les poèmes homériques, deux occurrences qui semblent faire allusion à une technique d’écriture : dans l’Iliade, les Achéens tirent au sort pour savoir celui d’entre eux qui affrontera Hector en combat singulier, et « chacun marqua son sort,  (klêron esêmênanto ekastos,de sêmainein : marquer d’un signe, marquer de son sceau) » (VII, 175) ; dans l’Odyssée, le phéacien Euryale moque Ulysse, qui n’est à ses yeux qu’un marchand, non un héros ni même un athlète : « Si jamais, sur les bancs d’un vaisseau, tu montas, ce fut pour commander des marins au commerce, noter la cargaison (phortou mnêmôn) ou surveiller le fret ou vos gains de voleurs » (VIII, 163). Il est vrai qu’aucune de ces deux allusions ne témoigne avec certitude pour une pratique de l’écriture au temps d’Homère.

2- La thèse selon laquelle les poèmes homériques auraient été mis par écrit par les Pisistratides, à la fin du VIe siècle, bien que répandue dans l’antiquité, reste discutée par les modernes. Pierre Carlier remarque à ce propos que ce passage de l’Hipparque du Pseudo-Platon porte sur la récitation des poèmes homériques, non sur leur transcription par l’écriture. D’autres références souvent évoquées ne sont guère plus déterminantes : Cicéron fait l’éloge de Pisistrate pour avoir le premier disposé les livres d’Homère dans l’ordre qui leur est resté (De Oratore, III, 34, 137), ce qui suppose que le texte écrit – puisqu’il s’agit de livres –des poèmes était fixé avant Pisistrate ; quant au témoignage de Flavius Joseph (Contre Apion, I, 1, 12), qui affirme l’existence d’une tradition orale avant sa fixation par l’écriture, il vise surtout à démontrer que les textes de la tradition juive sont beaucoup plus anciens, donc plus vénérables, que les textes homériques. En outre, Flavius ne fait aucune allusion aux Pisistratides (Pierre Carlier, Homère, Fayard, 1999, p. 89-90).

3- Cet épisode mis à part, il faut reconnaître que les allusions à l’art des aèdes sont beaucoup plus rares dans l’Iliade que dans l’Odyssée. Notons toutefois l’évocation de Thamyris, cithariste légendaire que certains disaient avoir été le maître d’Homère, et dont le châtiment – il aurait été aveuglé par les Muses avec lesquelles il prétendait rivaliser, et aurait alors perdu son art – est évoqué, dans le catalogue des vaisseaux, à propos du bataillon que commandait Nestor (II, 595-600) ; ou encore, Hélène, quand elle évoque le mauvais sort qui est le sien : « Zeus nous a chargé d’une mauvaise part, pour que, plus tard / Nous puissions être chantés par les hommes qui viendront » (VI, 357-358). On peut aussi mentionner les « aèdes » qui s’unissent aux gémissements des femmes autour du cadavre d’Hector (XXIV, 720-722), mais il s’agit alors de professionnels de la lamentation funéraire plutôt que de poètes récitants. Enfin, sur le bouclier d’Héphaïstos, faisant danser un chœur merveilleux de jeunes gens et de jeunes filles, il y a « un aède divin qui chantait pour eux / S’accompagnant de la cithare. Deux acrobates / Dès qu’il chantait, tourbillonnaient au milieu de la foule » (XVIII, 604-606).

4- Il y a là, machinée par Homère, une subtile mise en abyme de son récit. En effet Ulysse à la cour du roi Alkinoos, étant enfin parvenu à l’épisode de son séjour dans l’île de Calypso, déclare : « Mais pourquoi vous reprendre un récit qu’hier soir, dans cette même salle, je vous ai fait à toi et ta vaillante épouse ? » (XII, 450-453). Or, on ne trouve rien de tel dans les chants précédents : les amours d’Ulysse et de Calypso, ce n’est pas Ulysse qui les chante, c’est Homère au chant I de l’Odyssée. Dans cet entrelacement des attributions, on ne sait plus qui est qui, si Homère est Ulysse, ou si c'est Ulysse qui est Homère… N’est-ce pas là ce que suggérait déjà Maurice Blanchot : « Qu’arriverait-il si Ulysse et Homère, au lieu d’être des personnes distinctes se partageant commodément les rôles, étaient une seule et même présence ? Si le récit d’Homère n’était rien d’autre que le mouvement accompli par Ulysse au sein de l’espace que lui ouvre le chant des Sirènes ? Si Homère n’avait pouvoir de raconter que dans la mesure où, sous le nom d’Ulysse, un Ulysse libre d’entraves quoique fixé, il va vers ce lieu d’où le pouvoir de parler et de raconter semble lui être promis, à condition qu’il y disparaisse ? » (« Le Chant des Sirènes », in Le Livre à venir, « Idées », Gallimard, p. 15) ? Ce passage est cité en exergue par Jacqueline Assaël dans son essai sur « La muse, l'aède et le héros », 1997.

5- Phémios est cité par Platon, dans le Ion, en compagnie d’Olympe, de Thamyris et d’Orphée (533 bc). Son nom est riche de sens, et se dérive de phêmê, révélation par la parole ou par des signes, et de phêmi, phanai, rendre visible, manifester sa pensée par la parole. On peut dire de Phémios qu’il est « la Voix par excellence » (J. Assaël, « La muse, l’aède et le héros », Noésis, 1997, p. 114).

6- « Tu refuses, ma mère, à l’aède fidèle le droit de nous charmer au gré de son esprit ? Qu’y peuvent les aèdes ? C’est Zeus qui, pouvant tout, donne aux pauvres humains ce qu’il veut pour chacun. N’en veuillons pas à Phémios de nous chanter la triste destinée des héros danaens : le succès va toujours, devant un auditoire, au chant le plus nouveau » Od. I, 356-352.

7- Ainsi nommée en référence aux travaux de David Monro, spécialiste d’Homère, professeur à Oxford de 1859 jusqu’à sa mort en 1904, auteur d’une Grammaire du dialecte homérique (1891) qui le fit connaître, et d’une édition des douze derniers chants de l’Odyssée, dans laquelle il étudie le poème dans sa relation avec l’Iliade.

8- On a remarqué que, dans le passage cité, Démodokos est aveugle, comme on le disait d’Homère lui-même, et comme le sont les devins Calchas et Tirésias.

9- Zeus lui-même est le premier à le reconnaître : « De toutes les villes où vivent sur terre les hommes, / Chère à mon cœur est la sainte Ilion, / Avec Priam, le peuple de Priam à la lance de frêne. / Jamais sur mon autel n’a manqué la juste part, / Vin répandu et graisse, la part qui nous revient. » (IV, 45-49).

10- Cf David Bouvier, Le Sceptre et la lyre, 2002, p. 143 : selon le Pseudo-Plutarque cette bigarrure de la langue homérique était le fruit des nombreux voyage d’Homère dans le monde grec, qui le conduisaient à mélanger inconsciemment tous les dialectes (De Homero, B 8 et 14). Dans son Contre l’opinion commune sur la prise de Troie, Dion Chrysostome reproche non seulement à Homère de prétendre connaître la langue des dieux (il affirme par exemple savoir que le fleuve que les hommes nomment Scamandre est par les dieux nommé Xanthus) mais encore « de faire un mélange des divers dialectes de la Grèce, et de parler tantôt Eolien, tantôt Dorien, tantôt Ionien, Crétois même et Thessalien » (§ 23).

11- Ces chiffres sont donnés par David Bouvier, Le Sceptre et la lyre, 2002, p. 9.

12- Ainsi, c’est Démodokos lui-même qui choisit le thème de son chant : « L’aède, que la Muse inspirait, se leva. Il choisit, dans la geste humaine, un épisode dont le renom montait alors jusques aux cieux : la querelle d’Ulysse et du fils de Pélée » (VIII, 73-75) ; il a en outre le loisir de le traiter selon son cœur, selon son humeur (thumos) : « Qu’on aille chercher notre aède divin, notre Démodokos que la déesse a fait le charmeur sans rival, quel que soit le sujet où l’engage son cœur (thumos epotrunêsin) » (VIII, 43-45).

13- Il faudrait opposer l’appel épique des héros du temps passé à la lamentation funèbre sur ceux qu’on ne reverra jamais, l’exultation de la résurrection à la mélancolie de l’adieu irrémédiable, la sonnerie aux morts au glas du deuil. Le catalogue des vaisseaux, au chant II de l’Iliade, nous fournit une excellente illustration du premier terme de cette alternative ; pour le second, dont l’accent est sans doute plus proprement moderne, le merveilleux passage des Mémoires d’outre-tombe, que Chateaubriand intitule « Appel des morts », fait bien entendre la vanité de notre condition et l’imminence du néant : « Faisons l'appel de ces poursuivants de songes ; ouvrons le livre du jour de colère : Liber scriptus proferetur ; monarques ! princes ! ministres ! voici votre ambassadeur, voici votre collègue revenu à son poste : où êtes-vous ? répondez. L'empereur de Russie Alexandre ? - Mort. L'empereur d'Autriche François II ? - Mort. Le roi de France Louis XVIII ? - Mort. Le roi de France Charles X ? - Mort. Le roi d'Angleterre George IV ? - Mort. Le roi de Naples Ferdinand Ier ? - Mort. Le duc de Toscane ? - Mort. Le pape Pie VII ? - Mort. Le roi de Sardaigne Charles-Félix ? - Mort. Le duc de Montmorency, ministre des affaires étrangères de France ? - Mort. M. Canning, ministre des affaires étrangères d'Angleterre ? - Mort. M. de Bernstorff, ministre des affaires étrangères en Prusse ? - Mort. M. de Gentz, de la chancellerie d'Autriche ? - Mort. Le cardinal Consalvi, secrétaire d'Etat de Sa Sainteté ? - Mort. M. de Serre, mon collègue au congrès ? - Mort. M. d'Aspremont, mon secrétaire d'ambassade ? - Mort. Le comte de Neipperg, mari de la veuve de Napoléon ? - Mort. La comtesse Tolstoï ? - Morte. Son grand et jeune fils ? - Mort. Mon hôte du palais Lorenzi ? - Mort. » (Mémoires d’outre-tombe, chap. 40, § 4, Livre de Poche, 1973, tome III p. 556). Sur un registre plus noir encore, chaque nom résonnant comme la pelletée de terre qui tombe sur le cercueil descendu dans la fosse, on se souviendra du Temps retrouvé, et des litanies funèbres de Charlus : « Il ne cessait d'énumérer tous les gens de sa famille ou de son monde qui n'étaient plus, moins semblait-il avec la tristesse qu'ils ne fussent plus en vie qu'avec la satisfaction de leur survivre. Il semblait en rappelant leur trépas prendre mieux conscience de son retour vers la santé. C'est avec une dureté presque triomphale qu'il répétait sur un ton uniforme, légèrement bégayant et aux sourdes résonances sépulcrales: "Hannibal de Bréauté, mort! Antoine de Mouchy, mort! Charles Swann, mort! Adalbert de Montmorency, mort! Baron de Talleyrand, mort! Sosthène de Doudeauville, mort!" Et chaque fois, ce mot mort semblait tomber sur ces défunts comme une pelletée de terre plus lourde, lancée par un fossoyeur qui tenait à les river plus profondément à la tombe » (Proust, A la recherche du temps perdu, édition J.-Y. Tadié, « Bibliothèque de la Pléiade », tome IV, 1989, p. 441). Mort ou résurrection, déploration ou épopée, la poétique de l’appel obéit aux principes d’une rhétorique du « catalogue ». Pour mieux penser la puissance expressive d’une simple liste de noms, on pourra se référer à Bernard Sève, De haut en bas. Philosophie des listes, « L’Ordre philosophique », Seuil, 2010, « Retour à la profération », p. 97-103.

14- Réflexions et propositions sur le vers français, in Claudel, Œuvres en prose, « Bibliothèque de la Pléiade », Gallimard, 1965, p. 5.

15- On lira sur ce thème le merveilleux essai de Vladimir Jankélévitch, Liszt, rhapsodie et improvisation, Flammarion, 1998.

16- Marcel Detienne, Les Maîtres de vérité dans la Grèce archaïque, « Textes à l’appui », La Découverte, 1990, p. 11 et note 7.

 

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